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blié ce document avec un grand soin, une religieuse exactitude, avec des annotations et additions qui méritent tous nos éloges. Nous lui adresserons cependant un reproche grave, et dont il lui serait difficile de se justifier. Le Livre des Métiers de Boileau demandait une introduction savante, explicative, qui montrât l’origine des corporations, en suivît l’histoire au moyen-âge, et éclairât enfin d’un jour nouveau ces maîtrises, si mal connues encore, et que d’outrecuidantes affirmations ne parviendront pas à éclaircir. Le travail dont M. Depping a fait précéder son édition est, il est vrai, fort simple et sans aucune prétention ; mais je le soupçonnerais volontiers de ne pas dater d’hier, et, pour dire toute ma pensée, ces recherches sur le commerce et la hanse étaient sans doute depuis long-temps dans les cartons de l’auteur, qui a cru à propos de les en tirer et de les appliquer tant bien que mal en manière de préface sur le registre de Boileau. Il serait facile, je crois, d’apercevoir les fragmens que M. Depping a soudés à son morceau, pour lui donner un air de nouveauté et d’à-propos. Mais ces pièces de rapport, ces intercalations, ne sauvent pas l’inopportunité du fond. M. Depping est d’autant moins pardonnable, que ses études habituelles et son érudition saine le mettaient à même d’accomplir parfaitement, et en connaissance de cause, le travail dont l’absence nous a frappé.

Il ne nous reste plus qu’à parler de l’Histoire en vers provençaux de la Croisade contre les Albigeois, publiée, avec une supériorité bien remarquable, par M. Fauriel, et nous consacrerions à ce volume le jugement détaillé qu’il mérite, si nous ne nous en trouvions dispensé par plusieurs causes fort légitimes. D’abord M. Fauriel, en ses savans travaux sur les épopées, insérés dans cette Revue, a donné, il y a plusieurs années déjà, une longue analyse[1] du poème, qu’il a fait imprimer depuis pour la Collection du gouvernement. Ce serait donc un double emploi, et une tâche où la comparaison serait pour nous trop dangereuse, que de revenir sur cette épopée provençale. De plus, M. Villemain a publié dans le Journal des Savans un ingénieux et spirituel examen du livre de M. Fauriel, examen auquel de toute manière nous croyons plus profitable de renvoyer le lecteur, qui sera loin de perdre au change. Qu’il nous suffise donc de rappeler en quelques mots les résultats et le but de la publication de l’auteur des Chants populaires de la Grèce moderne. Ce poème de près de dix mille vers n’offre pas pour l’histoire un bien grand intérêt, puisque les continuateurs des Historiens de France n’avaient pas cru devoir admettre dans leurs matériaux ce texte métrique d’une chronique dont la version en prose provençale avait déjà été insérée dans les pièces justificatives de l’Histoire du Languedoc, par dom Vaissette. Mais au point de vue littéraire, la publication de M. Fauriel a une véritable importance. C’est le premier grand monument en vers de la littérature provençale.

Jusqu’ici nous n’avions que de courtes poésies des troubadours, publiées

  1. Voir la première série de la Revue des Deux Mondes, tome VIII, 1832.