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pas de vue que le moment où l’on prodigue tout à l’industrie n’est pas celui qu’il faut choisir pour affaiblir notre puissance militaire : la force de l’armée et la grandeur extérieure de la France sont aussi des intérêts ; et tout n’est pas compris entre la conversion du cinq et le triomphe des compagnies.

Ce n’est pas sérieusement qu’on peut craindre le refus de voter le budget ; mais cette idée, jetée en avant par les passions, n’est-elle pas bien propre à éclairer la chambre ? Quelques hommes en sont arrivés à la plus grosse menace dont on ait pu accoucher, il y a dix ans, pour résister aux entreprises contre-révolutionnaires de la restauration. Refuser le budget ! et pourquoi ? Le pouvoir exécutif est-il sorti de ses limites constitutionnelles ? Non. Mais, disent-ils, la chambre des pairs semble peu disposée à adopter les plans de la chambre des députés sur la conversion des rentes, et nous voulons employer, contre elle et contre la couronne, un moyen coërcitif.

Depuis huit jours, la chambre a pu lire dans le fond des choses et pénétrer le secret de plusieurs. Jusqu’à présent, elle a obéi à une impulsion dont elle ne démêlait pas bien le sens et la portée ; maintenant elle peut réfléchir et se consulter. Elle peut aussi apprécier la situation véritable de ces partis dont la coalition est si fastueuse, mais dont la consistance n’est plus la même, et que le flot du temps fait dériver à leur insu de leurs anciennes obstinations.

Quand M. Garnier-Pagès s’efforce de supplanter M. Laffitte dans le rôle de financier de l’opposition, quand M. Berryer plie son éloquence aux discussions les plus précises sur les chemins de fer, cet empressement à se montrer pratiques, cet enthousiasme pour les chiffres, ne dénotent-ils pas qu’ils désespéraient de se faire entendre et goûter sur d’autres sujets ? S’il y a de la finesse dans cette conduite, il y a aussi une reconnaissance expresse de l’état des esprits, il y a même une sorte de renonciation aux passions politiques dont ces orateurs tiennent leur mandat et leur existence.

En ce moment, les partis se transforment, se décomposent et se coalisent ; de la franchise, on passe à la dissimulation ; on cache ses passions, ses principes. Les démocrates nouveau-venus dans la chambre ont, jusqu’à présent, frustré l’attente publique des émotions promises : une seule injure de mauvais goût, adressée à la révolution, a signalé la présence des rancunes légitimistes ; on rougirait de se montrer ardent, et pour la passion il n’y a plus d’opportunité.

Voilà pour les opinions extrêmes. Si nous examinons les partis parlementaires, nous voyons que la gauche modérée et son honorable