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la fermeté avec laquelle elle l’a défendue, on a vu que son rôle en ce monde n’était pas fini. L’instinct d’un autre grand peuple n’a pas plus hésité que le sien, et la jalousie de l’Angleterre a confirmé le jugement de la France. Aujourd’hui ce jugement est accepté ; chambres et cabinet, tout s’y résigne, et ceux qui ont le plus hautement conseillé l’abandon de l’Afrique n’en demandent plus maintenant que l’occupation prudente et limitée.

S’il a fallu huit ans pour opérer cette conversion, ne nous en étonnons pas. Les peuples ne font que sentir, les chambres et les ministres réfléchissent ; aux uns le but seul apparaît ; aux autres, avec le but, le prix auquel il est donné de l’atteindre. La grandeur du but n’a pas plus échappé aux chambres qu’à la nation ; elles ont senti comme la nation et mieux démêlé qu’elle les raisons politiques qui prescrivent de le poursuivre ; sur ce point entre la nation et les chambres, entre les chambres et les cabinets, il n’y a jamais eu dissentiment. Ce qui a suspendu la résolution des chambres et causé l’hésitation des cabinets, ce sont les difficultés de l’entreprise, difficultés dont le noble instinct de la nation ne tenait pas compte, et qu’il était du devoir de ses représentans d’étudier et d’apprécier. Or, ce qu’on aperçoit de ces difficultés est considérable, et la partie qui échappe dans un pays si peu connu grandit encore celle qui se montre. La soumission et la pacification de l’Algérie sont évidemment une des plus grandes affaires où une nation puisse s’engager ; il est possible qu’un demi-siècle n’en voie pas la fin ; il y faudra, chaque année, des hommes et des millions ; il y faudra plus que tout cela, une inébranlable résolution et un esprit de suite infatigable. À Dieu ne plaise que j’en conclue que l’instinct national a eu tort, et que la nécessité de lui obéir est un malheur ! Non, si les difficultés sont grandes, le but est plus grand encore, et il est digne d’un grand peuple d’affronter les unes pour atteindre l’autre. Je dis plus, c’est à de tels exercices qu’il devient grand, c’est à ces entreprises de longue haleine que sa volonté se fortifie, que son caractère se trempe ; et je le crois fermement, après vingt-cinq années d’un travail intérieur toujours mobile et souvent mesquin, la France a particulièrement besoin d’une affaire extérieure qui unisse la grandeur à la difficulté, et qui lui donne hors d’elle-même une longue distraction. Mais si nous approuvons la France de vouloir la soumission de l’Algérie, nous trouvons bon qu’on lui dise à quel prix elle l’obtiendra ; nous trouvons bon qu’on le lui dise, non-seulement pour qu’elle sache à quoi elle s’engage et ce qu’elle fait en la voulant, mais encore pour justifier par-devant