Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/597

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
593
POLITIQUE DE LA FRANCE EN AFRIQUE.

l’unité religieuse est trop faible en Algérie pour y créer l’unité politique, ou il faudrait, de la part des conquérans, une imprudence de conduite impossible à admettre.

Tel est l’état politique des populations de l’Algérie, ou tel du moins est-il permis de l’entrevoir à travers le nuage qui l’enveloppait pour nous avant la conquête, et qui commence à peine à s’éclaircir. Dans quelques années, les notions rapides que nous venons d’en donner seront sans doute en partie rectifiées et surtout développées et précisées ; mais nous croyons que le fond en est vrai, et, si générales qu’elles soient, elles nous aideront à comprendre l’énigme de la domination turque sur la Régence, et à démêler les principes de la politique que nous devons y suivre pour y asseoir la nôtre.

Ce serait un tableau instructif pour la France que celui de l’établissement et de l’organisation de la puissance turque en Algérie. Nous l’avons déjà esquissé ailleurs[1], au moment même où notre flotte, était sur le point de mettre à la voile pour l’Afrique, et nous y reviendrons peut-être un jour. Mais ici ce travail nous mènerait trop loin. Quelques traits généraux suffiront à notre but.

Les Turcs qui, au commencement du XVIe siècle, abordèrent à Alger sous la conduite du premier des Barberousses, n’étaient qu’une poignée d’aventuriers, et pendant les trois cents ans qu’a duré la domination de cette milice étrangère sur la Régence, elle n’a jamais atteint le chiffre de vingt mille hommes. Les compagnons de Barberousse étaient braves sans doute, mais c’étaient des corsaires, c’est-à-dire de farouches et grossiers bandits, écume des îles de l’Archipel et des villes du Levant. Pendant trois siècles, les recrues qui sont venues chaque année entretenir et renouveler ce noyau primitif ont été puisées dans la lie de la population turque ; c’était ce que les rues de Constantinople et de Smyrne pouvaient fournir d’hommes perdus et désespérés ; et à les prendre individuellement, pas un de ces hommes ne valait moralement un Kabaïle ou un Arabe. Mais ces hommes appartenaient à une race différente, et portaient en eux le génie de cette race. Ils savaient aller ensemble et obéir ; ils comprenaient l’unité, ils l’aimaient et la voulaient. C’est par cette idée, c’est par cet instinct dont leurs adversaires étaient dépourvus, qu’ils vinrent à bout d’établir leur domination sur une population belliqueuse de plusieurs millions d’hommes, répandue sur un territoire

  1. Globe, numéros des 13, 14, 20 et 22 avril 1830.