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qu’une force arabe ne peut jamais être que celle d’une ou de plusieurs tribus, et que son élévation excite nécessairement la jalousie de toutes les autres ; parce qu’en second lieu, étant arabe, elle n’impose pas ; parce qu’enfin cette force se personnifie toujours dans un homme, que cet homme ne peut être qu’un chef de tribu ou un marabout, et que dès-lors il a partout des égaux, qui sont blessés de sa puissance et qui n’épargnent rien pour la détruire. Abd-el-Kader s’aperçoit déjà de cette vérité, et le temps la lui démontrera complètement ainsi qu’à nous. La coutume, le besoin, notre caractère d’étrangers, voilà ce qui rendra possible notre domination en Afrique, dès que nous oserons l’y vouloir ; mais il faut oser, et, avant tout, se décider à occuper, comme les Turcs, les villes de l’intérieur, non pas toutes à la fois, mais successivement, à mesure que les faits accomplis nous le permettront, n’entreprenant, dans chaque moment, que ce qui sera possible, et ne nous proposant chaque fois qu’un but facile et limité. Nous savons d’avance quelle population nous trouverons dans ces villes, et que ces populations ne nous créeront pas d’obstacle. Ces villes, en outre, occupent chacune une position dominante, clé naturelle d’un certain territoire. Il est possible, quoique la chose ne soit pas arrivée à Constantine, que les premiers temps de l’occupation soient suivis de coalitions hostiles contre nous. L’habileté alors consistera à faire comme les Turcs, à ne pas s’en effrayer, et à laisser l’orage se dissiper. Mais, en procédant successivement et avec prudence, ces coalitions mêmes sont peu probables, et ne pourront jamais interrompre d’une manière durable les communications avec les points où nous nous serons précédemment établis ; car entre deux villes occupées, les tribus intermédiaires, exposées à notre vengeance, seront toujours prudentes, comme l’a prouvé la prise de Constantine, qui a subitement fait mettre bas les armes à toutes les tribus entre Bone et cette ville, malgré les quarante lieues qui les séparent. Les villes occupées, le travail de l’assujétissement des tribus commencera. Cet assujétissement sera lent, mais progressif ; il sera l’œuvre du temps et de notre bonne conduite. Mais ce qu’on peut dire, c’est qu’il deviendra d’autant plus rapide que notre occupation sera plus étendue ; car, dans l’esprit des populations, notre force réelle sur chaque point se multipliera toujours par le nombre des points occupés. C’est dans l’action exercée de ces centres sur les tribus que devront être oubliées nos idées européennes de gouvernement. C’est alors que nous devrons nous souvenir que l’action du pouvoir public en Afrique doit s’arrêter à la tribu. Le jour où nous