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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/617

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POLITIQUE DE LA FRANCE EN AFRIQUE.

Français par lui, tel est son but suprême et définitif. Ce qui occupe maintenant l’émir, c’est la première partie de ce vaste plan. Il sent que l’autorité personnelle d’un homme n’est rien parmi ses égaux, et ne peut suffire à les lui soumettre ; il cherche donc, par tous les moyens, à éveiller le sentiment de la nationalité arabe et à l’exalter. C’est comme représentant de la religion et de tous les sentimens arabes qu’il se présente ou s’annonce aux tribus ; c’est dans cet esprit autant que pour obéir à ses passions personnelles, qu’il s’est fait l’instrument ardent de la haine des Arabes contre les Turcs. Tout ce qui est Turc, dans ses possessions, est impitoyablement persécuté, et est obligé de nous venir demander asile. Il vient de lancer une expédition dans le désert pour y chercher Achmet, et détruire en lui le dernier représentant de la milice d’Alger. Il a rompu le lien religieux qui unissait l’Algérie au sultan de Constantinople, en remplaçant son nom par celui de l’empereur arabe de Maroc dans les prières des fidèles. Ce qu’il fait ouvertement contre le nom turc, il le fait sourdement contre le nom français. C’est tout à la fois comme infidèles et ennemis des Arabes qu’il nous représente. Il cherche partout à alarmer contre nous les consciences et la susceptibilité nationale. Il le cherche où nous ne sommes pas et aussi où nous sommes. Ses agens travaillent les Arabes dans la province de Constantine et dans les territoires réservés des trois autres, les Maures dans les villes que nous occupons. Il voudrait faire le vide où nous sommes, et persuader partout que c’est un crime d’avoir des relations avec nous. Dans l’intérieur de ses possessions, il vit entouré des chefs des tribus ralliées ; ce n’est pas lui qui commande, ce sont eux ; lui n’est que le plus zélé dans la cause commune. Pour endormir les rivalités, il affecte le rôle religieux beaucoup plus que le rôle politique ; il n’est pas un chef, il est un saint, une sorte d’homme de Dieu envoyé pour chasser les infidèles et relever le nom arabe. Voilà ce que fait l’émir, à l’ombre du traité de la Tafna. Quant à ce traité, il l’inquiète peu. Il le respectera tant qu’il aura besoin de la paix, tant qu’elle lui sera utile, tant que l’occasion de tomber sur nous avec avantage ne sera pas arrivée. Il sait qu’il y a une Europe, et que tôt ou tard ce moment viendra. Ce jour-là le traité ne sera rien pour lui ; il le violera tout simplement et sans le moindre scrupule

En face d’un tel ennemi, dont les projets sont clairs et la mauvaise foi certaine, la France ne saurait se sentir engagée que dans les limites de ses propres intérêts ; car si elle est tenue, par le respect qu’elle se doit à elle-même, d’observer le traité de la Tafna, c’est à