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condition qu’il le soit également par l’autre partie contractante, et à cet égard la conduite de l’émir nous met parfaitement à l’aise. Si le traité est matériellement respecté par lui, il est moralement violé. Ses prédications contre nous dans son territoire, et ses intrigues dans toute l’étendue du nôtre, sont de nature à rassurer sur ce point les consciences les plus susceptibles, et cela d’autant plus que l’émir est notre vassal, et que le premier devoir d’un vassal est la fidélité à son souverain. Dès aujourd’hui donc le traité de la Tafna nous laisse parfaitement libres. Nous n’avons à considérer qu’une chose dans nos rapports avec Abd-el-Kader, notre intérêt. Lui-même le sait, et ne compte pas sur autre chose.

Suit-il de là que nous devions dès à présent rompre ce traité et, effrayés des progrès et des menées de l’émir, lui déclarer la guerre et marcher contre lui ? Non, et pour trois raisons principales : la première, que nous devons, dans l’intérêt de notre ascendant futur sur les populations de l’Algérie, pousser très loin en Afrique le respect pour les traités ; la seconde, qu’à côté de grands inconvéniens qui sont accomplis, la paix y a pour nous des avantages qui ne le sont pas, et dont nous devons tirer parti, puisque nous l’avons ; la troisième, que, quelque dangereux que puisse paraître le travail de l’émir sur les tribus arabes de son territoire, l’œuvre est si difficile et le résultat en restera long-temps si fragile, qu’il n’y a aucun motif pressant de s’en alarmer. La première de ces raisons n’a pas besoin d’être commentée, elle s’explique d’elle-même ; nous donnerons quelques développemens sur les deux autres.

La prise de Constantine a porté deux grands coups à la première partie des plans de l’émir ; elle lui a ôté la liberté d’agir ouvertement, et par sa présence, sur les populations arabes de l’est de la Régence ; elle a démenti, dans les tribus arabes soumises à son pouvoir, l’idée qui les contenait le plus, celle de l’évacuation de l’Afrique par la France. Ainsi, par cet événement, l’action de l’émir a été restreinte aux territoires qu’il administre, et dans l’enceinte de ce territoire elle a été considérablement affaiblie. Trois circonstances sont venues au secours de cette dernière impression. D’une part, l’impérieuse volonté avec laquelle le maréchal Valée a exigé l’accomplissement du traité ; en second lieu, la manière forte et menaçante dont il a occupé le territoire réservé, et particulièrement Coléah et Bélida ; en troisième lieu enfin, les forces considérables que la France a laissées depuis six mois à sa disposition. Tous ces faits ont porté loin dans l’opinion des chefs de tribus le doute sur la fable qu’Abd-et-Kader leur avait