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Voici que mes conjurations opèrent. Le sang que j’ai tiré de mes veines et que j’ai versé dans cette coupe commence à obéir à la formule sacrée, il bout, il fume ! maintenant je vais l’appliquer sur ta plaie…

Soranzo se laisse panser avec la soumission d’un enfant, car il craint la mort comme étant le terme de ses entreprises et la perte de ses richesses. Si parfois il la brave avec un courage de lion, c’est quand il combat pour sa fortune. À ses yeux, la vie n’est rien sans l’opulence, et si, dans ses jours de ruine et de détresse, la voix du destin lui annonçait qu’il est condamné pour toujours à la misère, il précipiterait, du haut de son donjon, dans la mer noire et profonde, ce corps tant choyé pour lequel aucun aromate d’Asie n’est assez exquis, aucune étoffe de Smyrne assez riche ou assez moelleuse.

Quand l’Arabe a fini ses maléfices, Soranzo le presse de partir. — Va, lui dit-il, sois aussi prompt que mon désir, aussi ferme que ma volonté. Remets à Hussein cette bague qui t’investit de ma propre puissance. Voici mes ordres : Je veux qu’avant le jour il soit à la pointe de Natolica, à l’endroit que je lui ai désigné ce matin, et qu’il se tienne là avec ses quatre caïques, pour engager l’attaque ; que le renégat Fremio se poste aux grottes de la Cigogne avec sa chaloupe pour prendre l’ennemi en flanc, et que la tartane albanaise, bien munie de ses pierriers, se tienne là où je l’ai laissée, afin de barrer la sortie des écueils. Le Vénitien quittera notre crique avec le jour ; une heure après le lever du soleil, il sera en vue des pirates. Deux heures après le lever du soleil, il doit être aux prises avec Hussein ; trois heures après le lever du soleil, il faut que les pirates aient vaincu. Et dis-leur ceci encore : Si cette proie leur échappe, dans huit jours Morosini sera ici avec une flotte, car le Vénitien me soupçonne et va m’accuser. S’il arrive à Corfou, dans quinze jours il n’y aura plus un rocher où les pirates puissent cacher leurs barques, pas une grève où ils osent tracer l’empreinte de leurs pieds, pas un toit de pêcheur où ils puissent abriter leurs têtes. Et dis-leur ceci surtout : Si on épargnait la vie d’un seul Vénitien de cette galère, et si Hussein, se laissant séduire par l’espoir d’une forte rançon, consentait à emmener leur chef en captivité, dis-lui que mon alliance avec lui serait rompue sur-le-champ, et que je me mettrais moi-même à la tête des forces de la république pour l’exterminer, lui et toute sa race. Il sait que je connais les ruses de son métier mieux que lui-même ; il sait que sans moi il ne peut rien. Qu’il songe donc à ce qu’il pourrait contre moi, et qu’il se souvienne de ce qu’il doit craindre ! Va ; dis-