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parer naguère au tissu velouté des fruits, avant que la main leur ait enlevé la vapeur argentée dont le matin les a revêtus. Plante flexible et embaumée, mais forte et vivace, Naam est née au désert, parmi les tribus libres et errantes. Elle n’a point oublié le temps où, courant pieds nus sur le sable ardent, elle menait les chameaux à la citerne et chassait devant elle leur troupe docile, rapportant sur sa tête une amphore presque aussi haute qu’elle. Elle se souvient d’avoir passé d’une main hardie le frein dans la bouche rebelle des maigres cavales blanches de son père. Elle a dormi sous les tentes vagabondes, aujourd’hui au pied des montagnes, et demain au bout de la plaine. Couchée entre les jambes des coursiers généreux, elle écoutait avec insouciance les rugissemens lointains du chacal et de la panthère. Enlevée par des bandits et vendue au pacha avant d’avoir connu les joies d’un amour libre et partagé, elle a fleuri comme une plante exotique à l’ombre du harem, privée d’air, de mouvement et de soleil, regrettant sa misère au sein de l’opulence, et détestant le despote dont elle subissait les caresses. Maintenant Naam ne regrette plus sa patrie. Elle aime, elle se croit aimée. Orio la traite avec douceur et lui confie tous ses secrets. Sans aucun doute elle lui est chère, car elle lui est utile, et jamais il ne retrouvera tant de zèle uni à tant de discrétion, de présence d’esprit, de courage et d’attachement.

D’ailleurs Naam se sent libre. L’air circule largement autour d’elle, ses yeux embrassent l’immense anneau de l’horizon. Elle n’a de devoirs que ceux que son cœur lui dicte, et le seul châtiment qu’elle ait à redouter, c’est de n’être plus aimée. Naam ne regrette donc ni ses esclaves, ni son bain parfumé, ni ses tresses de perles de Ceylan, ni son lourd corset de pierreries, ni ses longues nuits de sommeil, ni ses longues journées de repos. Reine dans le harem, elle n’avait pas cessé de se sentir esclave ; esclave parmi les chrétiens, elle se sentait libre, et la liberté, selon elle, c’était plus que la royauté.

Un jour nouveau va poindre, lorsqu’un faible soupir réveille Naam de son léger sommeil. Elle se soulève sur ses genoux et interroge le front penché de Soranzo. Il dort paisiblement ; son souffle est égal et pur. Un soupir plus profond que le premier, et plein d’une inexprimable angoisse, frappe encore l’oreille de Naam. Elle quitte le lit d’Orio, et soulève sans bruit le rideau de la croisée. Elle trouve Giovanna gisante, s’étonne, s’émeut, et garde un généreux silence ; puis, se rapprochant d’Orio, elle abaisse sur lui les courtines de son lit, retourne auprès de Giovanna, la prend dans ses bras, la relève, et, sans éveiller personne, la reporte dans sa chambre. Orio ignora ce