rêvait était possible, vraisemblable. Il a été faible, aveugle, malheureux par sa faute. Mais la passion imposait silence à sa raison, et les esprits les plus clairvoyans ne peuvent que le plaindre. Quant à Mme Z., il y aurait plus que de la légèreté à l’accuser de coquetterie. Quoique les femmes devinent facilement l’amour qu’elles inspirent, cependant elles ne peuvent guère désespérer une passion qui ne s’avoue pas. Tant que l’homme qu’elles ont séduit se contente d’une confiance fraternelle, elles n’ont pas à s’expliquer d’une façon précise sur la nature et les limites de l’affection qu’elles acceptent et qu’elles encouragent. Sans les accuser de cruauté, il est d’ailleurs permis de croire qu’elles obéissent, en se laissant aimer, aux inspirations de l’égoïsme, elles sont heureuses du dévouement qui les entoure ; leur demander d’y renoncer, quand rien ne leur démontre que leur joie est faite de la douleur d’autrui, c’est leur imposer un sacrifice au-dessus de la nature humaine. S’il est arrivé à quelques femmes prévoyantes d’aller au-devant d’un aveu et de décourager une passion qui ne s’était pas encore déclarée, il faut leur tenir compte de leur prudence sans la proposer pour modèle ; car pour sauver l’homme qui les aimait peut-être à son insu, elles ont couru un double danger, elles ont risqué de perdre un ami, et d’infliger à leur vanité l’humiliation d’un démenti. Rien dans les lettres publiées par M. Delécluze ne nous autorise à penser que Mme Z. ait manqué de générosité.
Quand Robert comprit que Mme Z. ne partageait pas sa passion et qu’elle n’aurait jamais pour lui qu’une amitié sincère, mais paisible ; quand il se fut démontré que les lois de la société au milieu de laquelle vivait Mme Z. ne permettaient pas à une femme riche et noble d’épouser un artiste, si célèbre qu’il fût, et que l’amour n’imposerait jamais silence à ces lois impérieuses, ne comblerait jamais l’intervalle qui séparait la patricienne du plébéien, il n’essaya pas de lutter contre son malheur. Quoique le temps efface de la mémoire les souvenirs qui semblent d’abord ineffaçables, quoiqu’il déracine les regrets qui semblent fixés à jamais dans le sol de la pensée, il est dans la nature de la passion méconnue et désespérée de se glorifier dans l’éternité de sa douleur, et de n’attendre du temps aucune consolation. Quel que fût l’attachement de Léopold Robert pour Mme Z., qui oserait affirmer que l’auteur des Moissonneurs, couronné par l’admiration unanime de ses rivaux, n’eût pas rencontré dans une autre femme la sympathie intelligente qu’il avait trouvée dans Mme Z., le bonheur et l’affection qu’elle ne pouvait lui donner ? Personne sans doute ; mais Robert, comme tous les hommes passionnés, était d’un avis