contraire. Une seule femme pouvait le rendre heureux, la femme qu’il aimait, et il ne croyait pas pouvoir jamais en aimer une autre. La plupart des hommes qui ont rêvé le suicide comme un dernier refuge et qui savent résister à ce cruel conseil de la douleur, sont étonnés, quelques années plus tard, des évènemens qui les ont sauvés, qu’ils n’avaient pas prévus, qu’ils jugeaient impossibles à l’heure du désespoir. Robert n’eût peut-être pas échappé à cette loi. Cependant il ne faut pas oublier qu’au mois de mars 1835, quand il s’est tué, il avait passé l’âge de quarante ans. Or, les passions conçues dans la virilité, sont plus obstinées, plus souvent inconsolables, que les passions qui agitent la jeunesse. L’homme arrivé à quarante ans, qui se voit déçu dans son espérance, n’entrevoit guère dans l’avenir la chance de ressaisir le bonheur qui lui échappe. Il y a dans l’amour même le plus pur quelque chose qui ne relève ni de l’intelligence, ni du cœur, une certaine ardeur puérile et frivole, si l’on veut, mais dont l’amour ne peut se passer et que la jeunesse seule peut exciter et nourrir. De vingt à trente ans, l’homme le plus sincère dans son désespoir trouve à se consoler dans une espérance nouvelle ; de trente à quarante, lorsqu’il est déçu, il n’a guère à choisir qu’entre la solitude et le suicide. Sans approuver le choix de ce dernier parti, nous pensons que la plupart de ceux qui blâment le suicide en parlent d’autant plus librement qu’ils n’ont jamais connu le désespoir.
Si les lettres publiées par M. Delécluze n’ajoutent rien à la gloire de Léopold Robert, elles peuvent du moins servir à expliquer d’une façon certaine comment Léopold Robert composait ses tableaux. Ce qui avait été entrevu il y a sept ans, à l’époque même où les Moissonneurs obtenaient l’admiration unanime des spectateurs ignorans et des juges éclairés, est désormais acquis à l’évidence. D’après la correspondance de Robert, il n’est plus permis de révoquer en doute la solidité des conjectures qui lui contestaient le don d’invention. Nous savons aujourd’hui, par son propre témoignage, qu’il consultait sa mémoire en peignant l’esquisse de son œuvre, et qu’il poursuivait l’exécution de son tableau à travers d’innombrables tâtonnemens. Il ne cache à M. M…e ni le nombre ni la durée de ces tâtonnemens, et se console de la lenteur de son travail en songeant à la valeur du résultat. Quand sa correspondance n’aurait pas d’autre mérite que celui de nous révéler les procédés de son intelligence, nous devrions encore remercier M. Delécluze du choix judicieux qu’il a su faire ; mais elle renferme sur sa vie privée, sur ses amitiés, ses espérances, sur sa manière d’envisager le mariage et la vie de