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concentre sans effort sur le char qui occupe le centre de la toile. Le maître du champ, placé au sommet du char, la femme qui tient son enfant dans ses bras, le vigoureux paysan assis sur l’un des buffles, celui qui s’appuie sur le timon, composent un groupe plein d’élévation et d’intérêt. Les jeunes moissonneuses qui occupent la partie gauche de la toile, ont la grace et la gravité des canéphores du Parthénon. Le moissonneur qui danse armé de sa faucille, et le pifferaro qui souffle dans sa cornemuse, remplissent dignement la partie droite du tableau. Les personnages du fond, sans être nécessaires, garnissent la scène et ne distraient pas l’attention. Il est donc évident, pour les esprits les plus difficiles à contenter, que le tableau des Moissonneurs mérite les plus grands éloges. Quelle que soit la valeur des conjectures présentées, il y a sept ans, sur la conception poétique de cette œuvre, il est impossible de ne pas l’admirer. Nous savons, par la correspondance de Robert, qu’il trouvait ses tableaux plutôt qu’il ne les inventait. Mais lors même que le tableau des Moissonneurs ne serait qu’une trouvaille, lors même que l’imagination ne jouerait aucun rôle dans cette œuvre, nous ne serions pas dispensé d’applaudir à la beauté, à la vérité des personnages, à la naïveté des mouvemens, à la grace élégante et grave des jeunes moissonneuses, à la mâle vigueur de l’homme assis sur l’un des buffles du char, et de celui qui s’appuie sur le timon. Le visage de la mère qui tient son enfant dans ses bras est empreint d’une tendresse rêveuse et contraste heureusement avec le visage du vieillard à demi couché qui ordonne de dresser la tente. Sur quelque point de cette toile que s’arrêtent nos regards, ils ne rencontrent ni un personnage inutile, ni un mouvement contraire au caractère général de la scène ; si donc Léopold Robert, en peignant ses Moissonneurs, n’a rien inventé, s’il a transcrit ses souvenirs sans les interpréter, sans les agrandir, sans y graver l’empreinte de sa personnalité, nous devons le féliciter du choix de son modèle et de la fidélité avec laquelle il a su le reproduire.

À mes yeux le mérite éminent de cette composition consiste surtout dans l’unité linéaire ; et malgré le témoignage de Robert sur lui-même, j’hésite à croire qu’il n’ait pas transformé les données que lui fournissait la nature pour obéir aux lois de son art. Une des lois les plus importantes de la peinture est, on le sait, l’unité linéaire. Or, il est bien rare, dans la réalité, que les personnages d’une scène quelconque s’offrent à nous groupés comme les acteurs du tableau de Robert. Pour atteindre cette beauté harmonieuse, cette vérité, cette simplicité linéaire qui permet d’embrasser d’un seul regard toutes les