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LÉOPOLD ROBERT.

ne pas l’accompagner, est indiquée avec finesse ; et enfin tous les membres de la famille qui garnissent la partie droite de la toile, déploient une activité réelle et ne posent pas. La peinture de ces différens morceaux offre des qualités précieuses et résiste souvent à l’analyse la plus patiente. Les têtes sont généralement modelées avec simplicité et laissent apercevoir les plans du visage. Les mains ont des phalanges et pourraient s’ouvrir. Il n’y a guère que la main droite de l’aïeule qui puisse donner lieu à une remarque sévère ; car l’intervalle qui sépare du poignet la naissance des phalanges est beaucoup trop court. Il y a donc dans les Pêcheurs de l’Adriatique plus de science et moins de bonheur que dans la composition précédente. Si Robert, égaré par le désespoir, ne se fût pas coupé la gorge le 20 mars 1835, il est permis de croire qu’il eût encore fait de nombreux progrès ; car pour ses travaux il était doué d’un courage et d’une patience à toute épreuve, et pour s’en convaincre, il suffit de comparer l’Improvisateur napolitain aux Pêcheurs de l’Adriatique. Éclairé par la destinée si diverse des Moissonneurs et des Pêcheurs, il eût compris la nécessité de ne pas diviser l’attention, et tout en ralliant à l’unité poétique et linéaire les élémens de ses tableaux, il eût cherché, il eût réussi sans doute à élever de plus en plus son style. Si, comme le pensent ses amis, il inclinait à traiter des sujets bibliques, et la belle esquisse du Repos en Égypte nous autorise à croire que ses amis ont raison, la nature même de ces sujets, en le mettant dans la nécessité d’interroger plus souvent sa conscience que la réalité extérieure, n’aurait pas manqué d’agrandir son style.

Que si l’on nous demande quel rang Léopold Robert occupe dans l’école française, nous répondrons que notre admiration pour lui ne va pas jusqu’à le placer, comme font ses amis, entre Lesueur et Nicolas Poussin. La postérité, nous en avons l’assurance, ne ratifiera pas cette flatterie de l’amitié. L’habile historien de Saint Bruno, le peintre des Sabines et du Déluge, sont séparés de Robert par un immense intervalle ; car ils possédaient une faculté qui lui a toujours manqué, et que le travail le plus persévérant ne peut conquérir : la fécondité. Il a fait dans l’espace de seize ans un beau tableau dont la peinture n’est pas excellente ; c’est assez pour que son nom prenne un rang honorable dans l’histoire de l’école française. Mais ce tableau, si beau qu’il soit, est loin de valoir la biographie de saint Bruno et les Sacremens de Nicolas Poussin.


Gustave Planche