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mis en réquisition. Pendant deux années, ils ne pourront sortir de l’habitation où ils sont actuellement employés. »

Le 9 nivôse an VII, arrêté semblable pour les domestiques : « Tous les domestiques actuellement employés sont engagés pour un an. Ceux qui n’y voudront pas consentir, seront tenus d’aller travailler sur une habitation, où ils resteront en réquisition pendant deux ans. »

L’exécution de ces mesures fut troublée par la menace de l’invasion anglaise. Il fallut appeler le tiers des cultivateurs à la défense de la colonie. Une tentative d’insurrection eut lieu, et elle était à peine réprimée, quand la nouvelle révolution du 18 brumaire amena son représentant en Guiane, comme l’avaient fait avant elle le 13 vendémiaire et le 18 fructidor. Le choix des consuls fut significatif ; il indiqua clairement la pensée, déjà arrêtée dans l’esprit pratique de Bonaparte, de mettre un terme à cette comédie libérale, et de rétablir ouvertement l’esclavage, que l’on avait tant de peine à maintenir sans l’avouer.

Victor Hugues, qui s’était fait connaître à la Guadeloupe par une fermeté souvent cruelle, vint remplacer Burnel à Cayenne, le 9 nivôse an VIII. En arrivant, il publia la proclamation si connue des consuls : « La constitution de l’an III périssait… » Une autre publication ne tarda pas à suivre celle-là, et la loi du 30 floréal an X annonça aux nègres de la Guiane que l’esclavage était maintenu dans les colonies françaises, conformément aux lois et règlemens antérieurs à 1789.

Un tribunal spécial fut créé. C’était une précaution inutile, et déjà les vieux usages, interrompus depuis huit années, avaient repris tout leur empire, quand un arrêté des consuls, en date du 16 frimaire an XI, vint organiser l’application de la loi du 30 floréal, en déclarant que les individus portés sur les rôles d’une propriété y sont attachés irrévocablement, et ne peuvent, ni s’y soustraire eux-mêmes, ni en être aliénés arbitrairement par le propriétaire ; que les individus qui sont devenus propriétaires depuis la liberté, et qui n’ont servi, ni comme domestiques, ni comme cultivateurs, ne redeviendront pas esclaves, à la condition du paiement au maître de leur valeur estimative comme esclaves.

Depuis cette époque, les noirs de Cayenne ont encore eu un jour de liberté. Ce fut en janvier 1809, quand les Anglais et les Portugais attaquèrent sérieusement la colonie. Mais, le lendemain de la capitulation, le chef du gouvernement portugais, Manoël Marquez, publia une proclamation en ces termes « Tous les nègres esclaves sont tenus de reprendre leurs travaux accoutumés, sous peine de cent coups de fouet. » Ce fut la fin, et une digne fin. On ne pouvait mieux clore cette période de liberté.

On me pardonnera d’avoir donné avec tant de développement l’histoire de l’affranchissement général à la Guiane. Cette histoire est instructive, et nous sommes trop heureux de pouvoir l’étudier dans ses moindres détails, grace aux recherches consciencieuses qui nous en ont conservé tous les documens. Quant à moi, je le déclare, alors même que je ne connaîtrais que l’issue