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DE LA SOUSCRIPTION DIRECTE.

moindre examen des difficultés ou des frais de la ligne, avant toute enquête sur les revenus possibles dans cette direction, et avant même que le gouvernement eût publié les recherches de ses ingénieurs ? Une autre compagnie ne demandait-elle pas à exécuter les chemins du Nord, y compris la ligne de Rouen par les plateaux, c’est-à-dire plus de deux cents lieues de voies de fer, sans avoir d’autre base, pour l’appréciation des dépenses et des produits, que les études incomplètes et partiales de l’administration ? Quelle garantie morale pouvaient présenter au public des opérations abordées, pour ainsi dire, aveuglément ? Il est vrai que l’une de ces compagnies stipulait une subvention de vingt-cinq millions, tandis que l’autre demandait à l’état une garantie d’intérêt de 4 pour cent. Pour s’affranchir de l’assistance du gouvernement, il faut sentir le public derrière soi, et avoir le droit de se prévaloir de son concours.

Lorsqu’il s’est agi d’un chemin de cinq à six lieues d’étendue, les banquiers ont pu présenter une soumission sérieuse, car leurs ressources étaient égales à la responsabilité dont ils se chargeaient. Mais, pour entreprendre une ligne dont l’exécution coûtera de 80 à 100 millions, quelle maison de banque, quelle association de banquiers aurait la témérité d’engager son nom ? Dans une telle occurrence, les banquiers ne peuvent que garantir, à leurs risques et périls, que le public s’empressera de souscrire. Mais n’est-ce pas une garantie bien autrement puissante, quand le public lui-même, représenté par les administrateurs d’une compagnie, vient prouver qu’il a déjà souscrit ?

Dans l’industrie comme dans l’ordre politique, l’aristocratie a fait son temps ; la distribution des capitaux est démocratique, comme la société. Nous ne sommes plus à l’époque où le nom d’un banquier puissant, attaché à une affaire, donnait de la valeur aux actions. L’éducation des petits capitalistes est à moitié faite, puisqu’ils ont appris à s’associer ; maintenant qu’ils ont la force de l’association, il leur reste à examiner et à devenir inquisiteurs. Mais, dès aujourd’hui, ils ne se passionnent et ne se préviennent pas facilement ; il faut un intérêt bien évident pour les déterminer.

Dans cette nouvelle situation, l’importance des banquiers n’est point annulée, et à Dieu ne plaise ! mais elle se subordonne à celle de l’association. Ils prennent leur part des affaires, et, au lieu de diriger une souscription, ils se font les premiers souscripteurs. On obtient également leur garantie, mais on reste maître de la limiter à ce qu’elle vaut en réalité.