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C’est une grande erreur, quand on suppose que des banquiers, en fondant une entreprise de chemin de fer, pourraient la mettre à l’abri des crises ou des paniques qui surviennent dans l’industrie. Les banquiers ne sont en effet que les agens, et les agens intéressés de la circulation. Les capitaux qu’ils engagent dans une affaire ne sont pas leur propriété ; ce sont des fonds déposés ou prêtés, dont ils servent l’intérêt, et qu’il ne leur est pas possible de laisser longtemps improductifs. Or, les travaux d’un chemin de fer, en admettant qu’ils soient poussés avec vigueur, dureront encore quatre ou cinq ans ; et cinq années, c’est un état de main morte pour des capitaux de spéculation.

Ainsi, de deux choses l’une : il faut que les banquiers qui se sont chargés des actions à forfait, les émettent dès l’ouverture des travaux pour rentrer dans leurs fonds, ou qu’ils les tiennent en réserve quatre ou cinq ans pour les vendre ensuite à vingt ou vingt-cinq pour cent de prime, et pour couvrir ainsi la perte essuyée sur l’intérêt de ces capitaux. Dans le premier cas, on risque de déprécier l’entreprise, en inondant le marché de ces valeurs ; dans le second, on la surcharge d’un accroissement inutile du capital social.

Au moment d’une crise commerciale, les banquiers, les marchands d’argent, sont les premiers frappés. Leur commerce ne reposant que sur la confiance publique, lorsque cette confiance se retire de tout le monde, il ne leur reste plus aucun appui pour résister. Quand les échanges s’arrêtent, les commerçans et les fabricans demeurent encore nantis d’un capital ; mais les banquiers intermédiaires de cette circulation, et qui opèrent sur les capitaux d’autrui, n’ont plus rien alors et ne sont plus rien. De toutes parts on s’empresse de retirer les fonds qui leur étaient confiés, et il ne se fait plus de placement pour combler le vide que laissent les retraits. La crise commerciale des États-Unis a commencé par les banques ; elle pèse encore sur ces établissemens après que le commerce et l’industrie se sont relevés du naufrage universel.

Ce n’est pas tout, les banquiers ne peuvent se jeter dans les affaires industrielles sans exposer leur position à des chocs très dangereux. Quand la panique se déclare, une maison de banque qui se borne aux opérations du change et de l’escompte, n’ayant que des engagemens à terme, est plus maîtresse de ses ressources, et voit par conséquent son crédit moins ébranlé. Mais si elle a placé ses fonds et ceux de ses cliens dans le commerce ou dans l’industrie, où toutes les opérations se font à longue échéance, et même sans échéance