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LA PAPAUTÉ DEPUIS LUTHER.

crosse ; et il proclame l’église, ainsi régénérée, supérieure à tous les états, Empire, royaumes, principautés. Innocent III, un siècle après, reprend l’œuvre d’Hildebrand avec une passion sinon plus profonde, du moins plus bruyante : il est plus jeune, il règne plus long-temps. Il excommunie tour à tour les rois d’Angleterre et de France ; puis, quand il a rendu la Grande-Bretagne à Jean-sans-Terre, il l’appelle un royaume sacerdotal ; par ses conseils il organise l’empire latin que la victoire des Français et des Vénitiens établissait à Constantinople, il se met en rapport avec la Norwège, le Danemark et la Suède, il affermit le courage des chrétiens d’Orient, et leur envoie des défenseurs ; il noie dans le sang le Languedoc et l’hérésie albigeoise, et il donne pour principe à toutes ses entreprises cette maxime : que le pape, en vertu de la plénitude de sa puissance, peut dispenser du droit même.

Il faut commencer à descendre, et depuis Innocent III jusqu’à Boniface VIII, la décadence est réelle, quoiqu’elle ait encore de grands airs de majesté. Grégoire IX excommunie quatre fois Frédéric II, mais ces coups répétés n’ont plus la même puissance. Saint Louis montre un cœur plus chrétien qu’Innocent IV, et ce roi est pour les hommes un plus grand sujet d’édification que le pape lui-même. La première année du xive siècle, Boniface VIII, célébrant le premier jubilé, bénit le monde du haut du Capitole, au milieu de la foule agenouillée et de pèlerins venus à Rome des quatre coins de la terre ; cinq ans après il mourait dans la rage et le désespoir, sous les outrages prémédités du roi de France, et un contemporain dit sur lui cette parole, qu’après s’être glissé comme un renard sur le trône pontifical, et avoir régné comme un lion, il était mort comme un chien[1].

Une autre période s’ouvre, depuis la mort de Boniface VIII jusqu’au concile de Trente, deux siècles et demi, pendant lesquels l’Europe manifeste, à l’égard de la papauté, des sentimens tout-à-fait contraires à ceux qui, jusqu’alors, l’avaient animée. Désormais on voit les princes et les peuples, au lieu d’adhérer à l’autorité de Rome, la nier avec fureur ; ce n’est plus cette sympathie générale qui, de toutes parts, poussait des élans vers le pape : c’est un esprit d’indépendance, de séparation et de schisme ; on veut vivre chez soi et par soi ; la vie politique se fait individuelle et locale ; l’autorité générale de la papauté paraît ou insuffisante ou funeste : on la dédaigne ou on la hait. D’ailleurs les papes se détruisent eux-mêmes ; après

  1. Le peuple de Rome appliqua plus tard le même propos à Léon X, qui mourut sans recevoir les sacremens.