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avoir perdu pendant soixante-douze ans le séjour de Rome, ils se dégradent en se multipliant. La chrétienté n’aperçoit plus sur le saint siége un seul homme, mais deux ; et l’institution, dont l’unité faisait la force, présente deux têtes au monde, qui désormais voudra chercher ailleurs son point d’appui moral. L’église elle-même témoigne qu’elle ne met plus sa confiance dans la forme monarchique, car elle en appelle à l’autorité démocratique des conciles qu’elle élève au-dessus du pouvoir des papes. Cinquante ans après le concile de Florence et la fin du schisme, Luther paraissait.

Depuis le concile de Trente jusqu’à nos jours, c’est-à-dire depuis bientôt trois siècles, la papauté fournit une carrière laborieuse ; elle a perdu tout pouvoir sur une moitié de l’Europe, et même les sociétés politiques qui la reconnaissent encore, l’ont contrainte à rabattre beaucoup de ses prétentions. Elle se défend ; elle ne conquiert plus ; l’esprit du siècle la domine sans songer à l’opprimer ; on ne la combat plus, on l’oublie.

L’histoire complète de la papauté sera donc un magnifique monument dont l’architecte n’aura pas moins que les annales humaines à dérouler depuis la destruction du polythéisme. Mais le temps n’est pas encore venu : on peut comprendre la papauté dans son esprit, mais il n’est pas encore possible de savoir tous les secrets de sa vie, de sa politique ; les archives du Vatican sont avares et bien scellées. Peut-être aussi vaut-il mieux laisser expirer ce qui reste de passions catholiques et protestantes, et léguer à l’avenir le soin tant d’une peinture achevée que d’un jugement souverain.

Cependant la curiosité historique s’est déclarée dans notre siècle ; impatiente, elle s’est mise à l’œuvre ; elle a reconstruit la biographie de quelques grands papes, préparant ainsi de précieux matériaux à ceux qui viendront après nous. Grégoire VII a trouvé dans M. Voigt, professeur à l’université de Halle, un narrateur érudit et impartial de ses entreprises et de ses pensées. M. Frédéric Hurter a écrit l’histoire d’Innocent III et de ses contemporains avec une savante justice. Il ne serait pas équitable d’oublier les indications et les documens dus à M. Raumer dans son histoire des Hohenstaufen ; enfin M. Léopold Ranke, professeur à l’université de Berlin, écrivant une histoire générale des Princes et des Peuples de l’Europe méridionale au seizième et au dix-septième siècle, a traité avec un soin particulier l’histoire de la papauté pendant cette époque. Ainsi c’est l’Allemagne protestante qui fait de la première des institutions catholiques l’objet de ses études les plus approfondies et les plus impartiales. Pour