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tinelles, à l’approche de la nuit, se retirent dans l’intérieur des remparts, tandis qu’on lâche des chiens bien dressés qui avertissent toujours de l’approche du danger. L’animosité des habitans de ce district est si grande, qu’il n’y a pas de sûreté pour le soldat russe hors des murs de la ville ; s’il sort pour se procurer de l’eau et du bois, il est obligé d’avoir une escorte et des pièces de campagne ; et, malgré toutes ces précautions, il en tombe tous les jours quelques-uns sous les balles d’un ennemi rusé et infatigable…

« En vérité, ajoute-t-il, la totalité des établissemens russes que nous avons visités depuis notre départ de Crimée, et qui figurent sur la carte sous le nom pompeux de forteresses, ne présente aujourd’hui que des murs dégradés et des retranchemens en mauvais état. Pourtant, quelque insignifians qu’ils soient, chacun d’eux a devant lui un vaisseau ou des vaisseaux de guerre à l’ancre, qui nous saluaient et auxquels, comme de raison, nous rendions leur politesse. Assurément, depuis l’invention de la poudre, les Circassiens n’ont jamais reçu de sérénades aussi assourdissantes ; elles n’auront eu d’autre effet que de les alarmer, et de leur faire suspendre leurs travaux agricoles pour s’armer, placer des sentinelles, en un mot se préparer à recevoir une attaque. »

Peu après Soukhoum-Kalé, commence la province russe de Mingrélie. La côte a un autre aspect que celle d’Abasie, parce que les montagnes s’éloignent considérablement de la mer et laissent place à une vaste plaine couverte de forêts à peu près impénétrables. L’expédition jeta l’ancre assez près de l’embouchure du Khopi, l’ancien Cyannus, et les voyageurs se rendirent dans des chaloupes à Redoute-Kalé. M. Spencer, d’après ce qu’on lui avait dit, s’attendait à voir une ville considérable et florissante ; mais il fut tout-à-fait désappointé. « Il n’y avait pas, dit-il, un seul navire de commerce dans la rivière ; les spacieux bazars, naguère pleins de marchandises européennes, étaient tous fermés, et un reste d’habitans à la figure blême semblaient n’avoir rien de mieux à faire que de rester assis toute la journée sur des nattes de jonc, fumant leur tchibouque, et regardant les étrangers. Ce grand changement dans les destinées de Redoute-Kalé a été le résultat de la conduite impolitique du gouvernement russe, qui, toujours désireux d’apporter des entraves au commerce anglais, a mis sur les marchandises des droits très élevés : ils ont produit leur effet ordinaire, celui de détourner de la ville le canal commercial. Auparavant, Redoute-Kalé était le grand entrepôt des produits anglais expédiés pour la Perse, la Géorgie et les autres pro-