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ÉTABLISSEMENS RUSSES DANS L’ASIE OCCIDENTALE.

sion de ce peuple pour les bateaux à vapeur où, dans les commencemens, ils ne voulaient pas entrer, est si grande actuellement, que c’est une véritable manie ; mais tel est leur caractère : quand une fois ils ont pris goût à un changement ou à une réforme, leur enthousiasme ne connaît pas de bornes. J’ai vu le bureau du paquebot à Constantinople assiégé par la foule en quête de billets, et n’ayant pas d’affaire plus importante que le plaisir d’une agréable promenade. Jamais bateau de Margate, dans la belle saison, ne fut plus chargé de monde que ceux qui partent de Constantinople. Vous pouvez aisément vous imaginer quels bénéfices la navigation à la vapeur a procurés à ceux qui l’ont introduite sur ces mers… Assurément on n’a jamais vu une invention plus propre à établir dans le monde entier l’uniformité de religion, de mœurs et de manières, en un mot, à effectuer une révolution morale complète. Son influence s’est déjà fait sentir chez les habitans plongés dans les ténèbres des beaux pays qu’arrose le Danube ; et si nous y ajoutons les chemins de fer qui, en raison de leur commodité et de leur célérité, deviendront universels avec le temps, à quoi ne devons-nous pas nous attendre dans peu d’années ! »

Trébisonde est une ville considérable, très commerçante, inondée de produits anglais, ce qui réjouit singulièrement M. Spencer. Son port n’est pas très bon ; mais, comme c’est plutôt un immense dépôt de marchandises qu’une grande cité maritime, cet inconvénient est peu senti. Le sultan, du reste, aime beaucoup cette ville et veut y faire faire des travaux considérables : en attendant, son commerce va toujours croissant, et c’est l’une des villes les plus riches de l’empire ottoman. Ce fut là que M. Spencer prit ses mesures pour son aventureuse excursion en Circassie, qui lui était représentée comme très périlleuse par ses amis turcs, et qui réellement offrait de grandes difficultés. Trébisonde, en effet, est pleine d’agens russes ; une permission du consul de Russie est nécessaire pour se diriger vers le rivage septentrional de la mer Noire, et la côte de Circassie est strictement bloquée. « Celui qui doute de l’humiliant servage de la Turquie, dit M. Spencer, n’a qu’à résider ici quelques jours, et il se convaincra qu’elle est virtuellement une province russe. Elle ne peut pas commander ses bâtimens marchands dans ses propres ports, et ne peut les expédier aux tribus du Caucase sans risquer de les voir pris ou coulés à fond. La Russie joue maintenant, avec la Turquie, le jeu qui lui a valu la Crimée et la Pologne. »

Dans de semblables circonstances, il fallait adopter un strict inco-