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ÉTABLISSEMENS RUSSES DANS L’ASIE OCCIDENTALE.

de prendre avec lui une provision de médicamens. Cette belle cure lui valut la réputation d’un médecin du premier ordre, en même temps que les signes de reconnaissance qu’il apportait au prince, en guise de lettres de recommandation, de la part de ses amis de Stamboul, dissipèrent toute espèce de soupçon : ce chef l’installa chez lui comme médecin de la famille pour tout le temps de son séjour.

Ici se trouvent quelques notions curieuses sur la guerre que les Circassiens font aux Russes. « Le prince, dit M. Spencer, avait choisi la position de son camp avec une véritable entente de l’art militaire ; il était placé au sommet d’une haute colline, entourée de rochers et accessible d’un seul côté, mais par une gorge si étroite, que deux cavaliers pouvaient à peine y passer de front. Cette position offrait une retraite sûre en cas de défaite ; elle avait de plus l’avantage de commander tous les passages voisins, ceux de Mezip et de Kouloutzi, conduisant au fort russe de Ghelendjik ; celui de Toumousse, menant à Soudjouk-Kalé ; enfin celui de Soukhai, communiquant avec Anapa. Elle était d’ailleurs assez élevée pour pouvoir, en cas de danger pressant, correspondre avec ses frères d’armes par des feux servant de signaux. Pour le moment, son but était plutôt de surveiller les mouvemens de l’ennemi, d’enlever les traîneurs, de harceler les avant-postes, et de se tenir en rapport avec les habitans de l’intérieur, que de prendre positivement l’offensive. Quoique le prince n’eût guère avec lui qu’un millier d’hommes, tandis que les Russes en avaient quinze mille, il y avait à peu près tous les jours de légères escarmouches, où l’avantage était en général du côté des Circassiens, qui s’exposent rarement sans être sûrs de vaincre. Ils avaient ainsi réussi, non-seulement à confiner l’ennemi dans ses retranchemens, mais à l’empêcher d’élever les fortifications nécessaires… La guerre de guérillas a pris de telles racines dans le Caucase, pendant la lutte prolongée des Circassiens et de leurs voisins, qu’elle a atteint le plus haut degré de perfection : c’est, du reste, l’espèce de guerre la mieux adaptée aux forces et aux habitudes de ce peuple. Les chefs, hommes d’un courage incontesté, sûrs de la fidélité inviolable et de l’attachement de leurs clans, entreprennent les expéditions les plus romanesques, et leur activité et leur adresse font qu’ils manquent rarement le but qu’ils ont en vue.

Les positions occupées par l’ennemi, quoique hérissées de canons, sont insuffisantes pour le protéger. Ces rusés montagnards restent cachés des jours entiers aux portes même des forteresses ; puis, quand l’instant favorable se présente, ils fondent sur leur proie comme des