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ressortir la beauté de la taille et à défendre contre le mauvais temps, tout en étant un excellent costume militaire. Tel est cependant, depuis un âge immémorial, l’habillement de ce peuple singulier, que nous sommes accoutumés à regarder comme barbare, mais dont le costume et la manière de faire la guerre sont maintenant adoptés dans l’armée russe, où ils sont considérés comme un grand progrès. »

Le chef que les voyageurs voulaient voir étant absent, on les conduisit, à travers le plus beau pays du monde, chez un pchi-kham ou noble de la seconde classe, qui les reçut avec la plus grande courtoisie. M. Spencer ne cessait d’admirer, d’abord les sites, qui en effet doivent être ravissans, puis les mœurs hospitalières des montagnards, leur vie patriarcale, leur beauté, la noblesse de leurs manières, leur agriculture, leurs troupeaux, en un mot, tout ce qui frappait ses regards. Comme son capitaine turc était bien connu de tout le canton, on les recevait partout amicalement. Il s’était en outre recommandé d’un des plus puissans princes circassiens qu’il avait pris pour konak ou protecteur, suivant la coutume du pays, et dont le nom, déclaré aux anciens du district, devait lui servir de passeport. Néanmoins, cela ne suffisait pas pour dissiper les soupçons qu’inspire toujours un étranger à ces peuples : ces soupçons furent redoublés par sa curiosité, les questions nombreuses qu’il adressait à des marchands arméniens, les notes qu’il écrivait sur son journal, et les esquisses qu’il prenait des costumes, des maisons et des divers objets qui attiraient son attention. Il s’était qualifié de hakkim (médecin) franc de Stamboul, Génois de nation, ce qu’on lui avait conseillé, parce qu’on croyait qu’il s’était conservé chez les Caucasiens quelque souvenir de leurs anciennes relations commerciales avec Gênes. « Mais ils n’avaient jamais entendu parler d’un tel peuple, et ne respectaient sous le ciel que les Turcs et les Anglais, croyant tout le reste ligué avec les Russes leurs ennemis. » Ses papiers furent examinés, on consulta tour à tour des Grecs, des Turcs, des Arméniens, dont aucun ne pouvait deviner ce que c’était que cette langue et cette écriture. Heureusement des esclaves déclarèrent que ce n’était pas leur langue, et un jeune prince, qui s’était intéressé en sa faveur dès le commencement, obtint qu’on l’enverrait à la vallée où se trouvait le camp de son konak, mais par des chemins difficiles et détournés, afin que le voyageur ne pût pas prendre connaissance des passages ordinaires. M. Spencer trouva le prince auquel il était ainsi adressé, malade d’une fièvre intermittente dont il eut le bonheur de le guérir en quelques jours, ayant eu soin