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ÉTABLISSEMENS RUSSES DANS L’ASIE OCCIDENTALE.

autant de gaieté que si elles allaient prendre possession d’une couronne. Le système de vendre les femmes aux étrangers a probablement contribué à conserver dans le Caucase quelques-uns des raffinemens de la civilisation, parce que celles de ces femmes qui reviennent dans leur terre natale, après avoir demeuré chez un peuple beaucoup plus policé, rapportent des connaissances qui les mettent à même de travailler à l’amélioration de la condition sociale de leurs compatriotes, lesquels, sans cela, à raison de leur isolement, seraient retombés dans une barbarie complète. D’un autre côté, cette coutume a amené beaucoup de guerres et de querelles entre les diverses tribus dont chacune faisait des excursions sur le territoire des autres, afin de se procurer une provision de beautés à vendre. Heureusement pour l’humanité, tout cela a disparu à peu près ; on le doit à la dernière confédération entre les tribus et aussi à ce que le pavillon russe flotte en dominateur sur la mer Noire, ce qui a suspendu presque tous les rapports des Circassiens avec leurs voisins… À présent, grace au peu de commerce qui se fait entre les habitans du Caucase et leurs anciens amis les Turcs et les Persans, le prix des femmes a considérablement baissé, ce qui est un sujet de lamentations pour les parens qui ont beaucoup de filles, et leur cause un désespoir pareil à celui du marchand qui pleure sur ses magasins pleins de marchandises sans acheteurs. D’un autre côté, le pauvre circassien gagne beaucoup à cet état de choses, parce qu’au lieu de donner tous les produits de son travail de plusieurs années, ou de livrer la plus grande partie de ses troupeaux, il peut avoir une femme à bon marché, puisque la valeur de ce charmant article est tombée de l’énorme prix de cent vaches à celui de vingt ou trente. » Il résulte de cela que le profit le plus clair de l’indépendance de la Circassie, telle que la demande M. Spencer, serait de faire hausser le prix des femmes, de relever ce commerce à peu près tombé, et par suite de rétablir l’état de guerre entre les tribus auxquelles une confédération ne serait plus nécessaire. On ne saurait, du reste, trop louer la candeur de cet écrivain, et le soin avec lequel il fournit lui-même à ses lecteurs les meilleures raisons qu’il y ait à donner contre le système soutenu par lui.

Ailleurs, il tance son compatriote, le docteur Clarke, qu’il appelle pourtant l’un des voyageurs les plus exacts de son temps, pour avoir dit que les petits princes du Caucase sont continuellement en guerre les uns avec les autres, et qu’il n’y a pas de traité, si solennel qu’il soit, qui puisse lier un Circassien, et lui faire tenir sa parole. « Rien