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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/836

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REVUE DES DEUX MONDES.

Nous croyons volontiers que, lorsque la révolution de 1830 éclata, M. de Carné et ses amis eurent moins d’étonnement que beaucoup d’autres : ils avaient prévu quelque chose de cette péripétie soudaine, mais elle ne les blessa pas moins dans leurs affections et leurs souvenirs. Douleur légitime et respectable ; on ne se sépare pas sans angoisse et sans amertume des dernières images d’un passé que vos pères vous ont appris à vénérer et à chérir. Cette piété filiale ne pouvait offenser ni la liberté ni le pays ; il faudrait plutôt plaindre ceux qu’elle n’aurait point animés, car si, dans de grandes circonstances, le cœur se montre sec, il se rencontre que, par un juste châtiment, l’esprit est petit.

Ces premières émotions passées, M. de Carné revint bientôt à l’activité des travaux de la pensée ; il se mit à étudier la restauration qui venait de tomber. Les ruines étaient à ses pieds, il voulut les reconnaître ; il chercha les lois de la grande chute qui l’avait affligé : c’était demander des consolations à l’inflexible raison des choses.

Nous sommes sur la terre pour comprendre et pour agir : aussi l’intelligence des évènemens et des lois de l’histoire fortifie l’homme, le relève et le prépare à d’autres luttes. En lisant les études de M. de Carné sur la restauration, qu’il publia, en 1833, sous le titre de Vues sur l’Histoire contemporaine[1], on s’aperçoit que l’auteur se console des faits accomplis par leur entente rationnelle. La conclusion de son livre est l’impossibilité logique de la restauration ; évidemment la conséquence de cette conclusion était de ne pas s’épuiser en d’inutiles regrets, et de se tourner vers le présent.

Sans doute, dans les Vues sur l’Histoire contemporaine, on trouve souvent le ton d’un homme aigri et blessé ; le style en est hautain et dur, le gouvernement nouveau et la puissance des classes moyennes y sont parfois censurés avec amertume ; mais toujours l’auteur les reconnaît comme des faits nécessaires auxquels on ne saurait imprimer une impulsion progressive qu’à la condition de les accepter avec une franchise sans réserve. Il y a plus, l’ouvrage de M. de Carné s’ouvre par l’adoption expresse de la régénération sociale de 1789, car nous y lisons : « La mission actuelle de la France, celle qu’elle reçoit chaque jour des évènemens, c’est d’épurer les principes de 89, d’en écarter tout ce qui, loin de tenir au progrès de l’humanité, serait en contradiction manifeste avec lui[2]. »

Il était impossible qu’une fois engagée dans cette excellente tendance,

  1. vol. Paulin, rue de Seine, 33.
  2. Vues sur l’histoire contemporaine, tom. I, pag. 49.