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DES INTÉRÊTS NOUVEAUX EN EUROPE.

béraux ; elle mettait les générations nouvelles au régime de Saint Acheul, des bonnes lettres et des bonnes études ; elle conspirait avec une industrie jésuitique contre les chaleurs généreuses du sang et de la jeunesse, et l’intelligence des rejetons d’un royalisme héréditaire lui causait un effroi véritable.

Qu’arriva-t-il ? À ces entreprises contre leur liberté d’esprit et de conduite, les plus distingués et les plus forts répondirent par le dédain et le dégoût ; ils s’isolèrent pour travailler, et ils entrèrent, à leur insu, dans ce vaste complot moral qui réunissait toute une société contre son gouvernement : la restauration ne garda dans ses cadres congréganistes que les plus médiocres et les plus faibles. Aussi, quand elle tomba, non-seulement elle avait contre elle toute la jeunesse libérale, mais la meilleure partie de la jeunesse royaliste.

Depuis huit ans, il s’est fait un grand travail dans les têtes des hommes jeunes de tous les partis. Que la chute d’un trône et l’avénement d’un gouvernement nouveau ait d’abord soulevé des passions vives, qui s’en étonnera ? Malheur à ceux qu’une révolution n’enflamme ni d’enthousiasme ni de colère ; la vie morale leur est refusée, et, comme ils n’ont rien senti, ils sont destinés à ne rien faire. Mais ceux dont l’imagination et l’ame ne se sont pas fermées aux émotions généreuses, qu’une crise sociale a fortement pénétrés de joie ou de douleur, ceux-là vivent ; leur esprit s’éclaire et s’étend d’autant plus, que leur sensibilité a été plus expansive : les nobles ardeurs d’une première jeunesse ont préparé pour eux la force complète de la maturité. Comme ils ont su être jeunes, ils sauront être véritablement des hommes, et les sociétés n’ont jamais de plus solides serviteurs que ceux auxquels il a été donné de faire succéder aux saillies d’un sentiment qui débordait, l’énergie et la tenue de la raison.

Parmi les jeunes gens qui, dans les dernières années de la restauration, auraient voulu l’arracher aux conseils et aux tendances insensées qui la perdirent, il est juste de mettre en première ligne M. de Carné. En 1828, il fonda le Correspondant avec quelques amis, qui, comme lui, venaient de quitter à peine les bancs des écoles. Il y avait là de consciencieuses études, des pensées généreuses et du talent. Il y avait aussi une complète indépendance des liens où l’officielle hypocrisie de la restauration aurait voulu emprisonner de nobles esprits ; on se servait même de cette liberté pour avertir la vieille monarchie, pour lui dénoncer les écueils dans lesquels elle s’engageait ; et cette jeune élite du parti royaliste prenait, dans la tragédie qui s’ouvrait, le rôle lamentable de l’antique Cassandre.