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REVUE DES DEUX MONDES.

— Écoute, Karine, veux-tu être à moi ? je te donnerai une couronne d’or rouge.

— Ta couronne d’or rouge ne me convient pas. Donne-la à ta jeune reine, et laisse-moi mon honneur.

— Écoute, Karine, veux-tu être à moi ? je te donnerai la moitié de mon royaume.

— La moitié de ton royaume ne me convient pas. Donne-la à ta jeune reine, et laisse-moi mon honneur.

— Écoute, Karine, si tu ne veux pas être à moi, je te ferai mettre dans le tonneau rempli de pointes de fer.

— Si tu me fais mettre dans le tonneau rempli de pointes de fer, les anges de Dieu verront que je ne l’ai pas mérité.

Les valets du roi s’emparent de la petite Karine et la roulent dans le tonneau.

Alors deux blanches colombes descendent du ciel et prennent la petite Karine. On n’avait vu venir que deux colombes. En ce moment on en vit trois. »

Quelquefois aussi l’idée barbare l’emporte sur tout le reste. La scène la plus dramatique est racontée avec le plus grand sang-froid. Une jeune fille a été empoisonnée chez sa nourrice par l’ordre de sa belle-mère. Elle rentre chez elle avec les angoisses de la mort, et sa belle-mère lui dit :

— Ma douce fille, où as-tu été si long-temps ? — J’ai été chez ma nourrice, ma chère belle-mère, voilà pourquoi j’ai si mal.

— Qu’as-tu mangé chez ta nourrice ? — Deux petits poissons ; voilà pourquoi j’ai si mal.

— Que souhaites-tu à ton père ? — Je lui souhaite les joies du ciel.

— Que souhaites-tu à ta mère ? — Le bonheur du paradis.

— Que souhaites-tu à tes frères ? — Un navire flottant sur l’eau.

— Que souhaites-tu à ta sœur ? — Des bijoux et des cassettes d’or.

— Que souhaites-tu à ta belle-mère ? — Les ténèbres de l’enfer.

À côté de ces vers, qui dépeignent si tranquillement le crime, on en trouve d’autres qui expriment d’une manière énergique la puissance du remords par un symbole.

Une jeune fille qui se promène au bord de la mer avec sa sœur, dont elle est jalouse, la précipite dans les flots. Un ménestrel, en passant sur le rivage, trouve le corps inanimé de la victime. Il lui coupe les cheveux et en fait des cordes pour sa harpe ; puis il s’en va chanter dans la maison où elle demeurait, et la coupable, en entendant le son de cette harpe merveilleuse, tombe morte.

Il y a aussi çà et là, dans ces chants de la Suède, quelques jolies fictions de sentiment cachées sous une allégorie. Telle est celle de ce chevalier qui promet à une jeune fille de lui faire voir les sept montagnes d’or. La jeune fille n’a jamais cru à toutes les merveilles qu’on lui raconte ; mais son cœur est ému, son imagination est séduite. Elle entre dans le paradis de l’amour, et elle voit les sept montagnes d’or.

Telle est celle qui exprime la puissance du chant. Une pauvre petite bergère chante si bien, que le roi la fait venir auprès de lui. Il lui fait donner à