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LA LITTÉRATURE EN SUÈDE.

la place de sa robe de laine des vêtemens de martre zibeline, des bas de soie, des agrafes d’or ; puis il la prie de chanter. Mais la bergère, étonnée de tout ce qu’elle voit, ne peut chanter, et demande à retourner auprès de ses chèvres. Le roi lui offre de riches habits, des anneaux d’or, un navire, et la bergère répond : Tous ces biens que vous m’offrez ne sont pas faits pour moi. Laissez-moi retourner auprès de mon troupeau. Il lui offre la moitié de son royaume, et elle refuse. Il lui offre son amour. Alors elle chante, et le roi et les hommes de sa cour se mettent à danser. Après cela, la bergère veut partir ; mais le roi la nomme reine et lui donne sa couronne d’or.

La Suède a puisé, comme le Danemark, sa poésie populaire à plusieurs sources. Elle a gardé du paganisme la tradition du marteau de Thor, des perfidies de Loke, des Elfes qui dansent dans les forêts, des Hœgspelare, des Strœmkarle qui soupirent dans les fontaines et chantent dans les cascades. Le christianisme lui a donné ses légendes de saints et ses miracles. L’Islande lui a appris ses histoires de guerre et de pirates, l’Allemagne ses contes de chevalerie. Elle a chanté elle-même les évènemens qui se passaient autour d’elle, les rois dont elle voulait célébrer la sagesse, les héros dont elle admirait le courage. Elle a chanté ses joies et ses douleurs. Tous ces chants improvisés ainsi dans un moment d’émotion, et répétés par la foule, présentent aux regards de celui qui veut les étudier sérieusement, tantôt un tableau de mœurs fidèle et intéressant, tantôt une scène fictive, riche de sentiment et de poésie, tantôt la peinture d’un caractère, le récit d’un fait qui peuvent servir à l’historien.

Voici un autre point assez curieux à observer. C’est dans ces recueils de chants populaires qu’il faut chercher les premières traces de composition dramatique parmi les habitans du Nord. Les hommes qui vivent sous cette rude température des régions boréales ne connaissent guère cette vie extérieure, cette vie de forum des populations méridionales. Dans les campagnes, ils habitent une maison à l’écart et restent isolés l’un de l’autre. Dans les villes, ils subissent encore l’influence du climat, et l’éducation qu’on leur donne, les habitudes qu’ils prennent dès leur enfance, sont en quelque sorte indiquées par cette atmosphère variable et froide qui les menace dès qu’ils posent le pied dans la rue. Ainsi ils s’accoutument à une vie sédentaire. Ils aiment leur intérieur, leurs travaux patiens pendant le jour et leur cercle de famille le soir. Que l’on se représente un pays comme la Suède, où toutes les habitations sont dispersées à travers champs, où l’on ne trouve que quelques petites villes à de longues distances l’une de l’autre, et quelques villages dans deux provinces ; il est facile de concevoir que l’art dramatique, fût-ce même l’art le plus simple et le moins exigeant, ne peut guère se développer dans de telles contrées. Polichinelle aurait trop à faire de courir d’un chalet à l’autre pour montrer sa joyeuse humeur, et Colombine n’aurait jamais la force de traverser tant de sentiers rocailleux, de gravir tant de montagnes, pour jouer ses naïves pastorales avec Arlequin.

Les paysans de chaque paroisse ne se réunissent qu’une fois par semaine