Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/863

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
859
REVUE. — CHRONIQUE.

rique, car ce fut l’Allemagne qui se chargea la première de ce rapprochement dans ses guerres, qui précédèrent les nôtres ; mais nous nous bornerons à parler de la mission que M. Piscatory donne ici à la France. Elle serait bien mal remplie, si nous nous mettions à nous blottir en égoïstes dans l’enceinte fortifiée de quelques ports d’Afrique, et à regarder paisiblement, d’entre les créneaux des murs, les effets de la barbarie qui s’étendrait autour de nous. Il n’y aurait là ni sûreté ni grandeur, et il vaudrait mieux s’en aller tout bonnement d’Afrique avec M. Desjobert, que d’y rester comme le voudrait M. Piscatory.

Nous voudrions que l’Afrique française n’eût que des adversaires comme M. le général Bugeaud, C’est un de ces ennemis tels qu’on se les choisirait à soi-même ; mais, malheureusement, on ne choisit pas ses ennemis. On n’aurait à attendre que des attaques loyales d’une ame aussi franche et aussi généreuse. M. le général Bugeaud avait déjà écrit sur Alger une brochure d’un style vif et prompt, pleine de ces expressions familières et naturelles qui distinguent son esprit. M. le général Bugeaud offre dans les camps un peu du caractère que M. Dupin montre au barreau. Il y a dans l’un une sorte de bonne humeur héroïque qu’on dirait empruntée aux compagnons d’armes de Henri IV, comme dans l’autre la rondeur bourgeoise d’un vieux magistrat du parlement. C’est cette modération particulière à nos vieilles mœurs, cette réflexion d’esprit sensé, qui ont fait résister M. Dupin à la tentation de garder un des portefeuilles qu’il a été quelquefois à même d’offrir aux autres, et qui ont arrêté le général Bugeaud au moment où, à la tête d’une belle division, campée le long de la Tafna, il aurait pu tenter la conquête du bâton de maréchal par quelque grande et lointaine expédition jusqu’au Grand-Désert. Le général Bugeaud a admirablement expliqué à la tribune le combat qu’il se livra à lui-même, quand il voyait autour de lui la division d’Oran, belle, jeune et complète, pourvue de tout, quoi qu’en ait dit M. Berryer, la division la plus confiante et la plus brave, qu’il avait déjà conduite aux Arabes de la Sicka en 1836, et qui savait bien, ainsi que son chef, qu’elle marcherait à la victoire. Dans ce moment, le général Bugeaud eut sans doute beaucoup de peine à ne pas tirer l’épée contre Abd-el-Kader, à ne pas obéir au sentiment de la gloire et à ce qu’il appelle militairement l’intérêt de sa division. « Mais, a dit le général Bugeaud, je crus devoir faire céder cet intérêt à l’intérêt du pays, et je dois dire à l’éternel honneur de ma division, qu’elle n’a pas fait entendre un seul murmure dans les rangs, que même j’ai été généralement approuvé, parce que cette division a le véritable sentiment de l’amour du pays. Elle sait très bien que la guerre ne se fait pas dans l’intérêt des armées et de leur gloire, mais toujours dans l’intérêt du pays. » Le long discours prononcé par le général Bugeaud, dans cette discussion, est rempli de traits aussi heureux, et de ces élans d’honneur qui émeuvent même ses adversaires, parce qu’on sent que l’orateur n’est pas dominé par des passions de parti, quoiqu’il soit passionnément d’un parti, qui est celui de la paix et de l’ordre en France, de sa dignité et de sa puissance. C’est un beau rôle que joue là