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tiques ; ils dirigeaient les écoles, la science, la littérature… » C’est-à-dire que la théologie était puissante, à condition de ne plus être la théologie. J’accorde qu’on discutait sur la grace, sur la présence réelle, qu’on se tenait réciproquement pour abominables entre catholiques et protestans. Mais au fond que cherchait-on ? la vérité ? Non : le pouvoir.

On ne nous prêtera pas sans doute la folle pensée de nier que dans l’ame de plusieurs brûlait encore le feu d’une spiritualité sincère ; mais nous disons que le mouvement social, lors même qu’il s’appelait religieux, était politique. Dès le commencement du XVIIe siècle, les théologiens disparaissent pour faire place à l’habileté et à la science laïques des jurisconsultes et du tiers-état. Richelieu n’a d’un prêtre que la robe. Les papes en majorité se montrent mondains et politiques ; ils quittent tantôt l’Espagne pour la France, tantôt François Ier pour Charles-Quint ; ils font des vœux pour les protestans et Gustave-Adolphe, parce que ces hérétiques ruinent la puissance impériale. Le duc d’Albe écrase les réformés dans les Pays-Bas, et en même temps fait trembler le pape dans Rome, car avant d’être catholique, il est sujet de Philippe II. Quand la politique tombe d’accord avec la religion, on célèbre avec enthousiasme cette harmonie, et on s’en fait une arme puissante ; mais lorsqu’elles sont opposées, la religion est sacrifiée à la politique : voilà le fait général du XVIe et du XVIIe siècle. Si nous le voyons déjà poindre au XIVe et au XVe siècle, nous étonnerons-nous que plus tard il s’affirme avec autorité ?

Lorsque Bellarmin donnait une expression théorique un peu tardive aux prétentions de Grégoire VII et d’Innocent III, il mêla la souveraineté du peuple à la toute-puissance du pape. Il établit que Dieu n’ayant accordé le pouvoir temporel à personne en particulier, ce pouvoir appartenait au peuple qui le conférait tantôt à un seul, tantôt à plusieurs, et conservait toujours le droit de changer les formes politiques. La doctrine catholique s’attachait à montrer qu’elle n’avait de préférence pour aucun gouvernement particulier et qu’elle s’adaptait aussi bien aux institutions aristocratiques et démocratiques qu’aux monarchies. À l’union des deux souverainetés sacerdotale et populaire, les protestans répondirent par la doctrine du droit divin des princes et par l’indépendance des nationalités. Mais plus tard il y eut entre les deux causes comme un échange de principes : au XVIIe siècle, les tendances monarchiques prédominèrent dans le catholicisme, et les protestans inclinèrent ouvertement vers la république, ou du moins vers une liberté aristocratique ; et,