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LA PAPAUTÉ DEPUIS LUTHER.

effacées ; nous n’en continuerons donc pas l’énumération, et nous dirons seulement ceci : Montesquieu appela le pape une vieille idole, et Voltaire dédia Mahomet à Benoit XIV ; c’était encore une assez douce manière de demander compte au catholicisme des larmes d’Abailard et du sang de Jordan Bruno.

Cependant quelles furent, durant le xvie et le xviie siècle, les passions religieuses de l’Europe ? Sur cette importante question M. Ranke donne des renseignemens précieux ; il décrit avec vérité les luttes du catholicisme et du protestantisme ; il rend surtout sensible l’habileté avec laquelle la cause catholique releva ses affaires au commencement du xviie siècle ; il est excellent dans le détail, mais peut-être n’a-t-il pas assez embrassé l’ensemble des choses.

Quand au moyen-âge Grégoire VII et Innocent III proclamaient la papauté supérieure aux puissances laïques, cette prétention était pour eux un dogme auquel ils croyaient religieusement. Les peuples y croyaient avec eux, et les rois, que ce dogme humiliait, n’y pouvaient refuser, même en se révoltant, leur adhésion intime. La foi était l’ame du moyen-âge. Puisque le pape représentait Dieu, il devait régner sur les rois. Cette politique était grande et simple, mais elle ne pouvait toujours durer, et elle dépérissait intérieurement dès la fin du xiiie siècle. Dès ce moment les intérêts positifs commencent à primer la foi religieuse. Il n’est plus possible de conduire encore les chrétiens en Orient, pas davantage de faire accepter aux peuples et aux rois l’absolutisme de la suprématie papale, et la vie proprement politique commença péniblement pour les individus comme pour les états.

Observons les commencemens de la réforme. Sans doute le théologien qui la provoque reçoit ses inspirations dogmatiques sur la grace, de la méditation de saint Paul et de saint Augustin ; mais comment entame-t-il son œuvre ? Par l’affaire des indulgences, c’est-à-dire en défendant la bourse des Allemands, comme si la spiritualité intérieure avait besoin du sauf-conduit d’une question pécuniaire. Quand le branle fut donné, on vit les intérêts secouer et exciter le flambeau de la foi ; mais la foi toute seule n’aurait plus rien allumé. Dans les querelles et les guerres religieuses du xvie siècle, l’intérêt politique prévaut, même quand il emprunte un autre nom, et il serait superficiel autant qu’erroné de prendre le change.

« Il n’y a jamais eu d’époque où les théologiens aient été plus puissans qu’à la fin du xvie siècle, dit M. Ranke ; ils siégeaient dans les conseils des princes, et traitaient dans les chaires des matières poli-