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LA PAPAUTÉ DEPUIS LUTHER.

intellectuel de la France depuis Luther jusqu’à la fin du xviiie siècle. C’est une grande lacune dans son livre. Il est vrai que nous rencontrons des dédommagemens dans les détails qu’il nous donne sur des points peu connus, comme les tentatives du catholicisme sur la Suède, sur la Russie, ses mouvemens en Pologne. Nous signalerons aussi les pages sur les finances du saint-siége et sur l’intérieur de la cour de Rome. Il ne faut pas oublier non plus le dramatique épisode de la reine Christine et de sa conversion. En somme, tous les faits sur lesquels M. Ranke a voulu jeter la lumière sont admirablement éclairés, et ces clartés nouvelles, qui procurent à l’esprit de vifs plaisirs, lui causent aussi plus de regrets pour ce qui est laissé dans l’ombre. Enfin, à notre sens, le livre du professeur de Berlin apporterait au lecteur une évidence plus complète, si l’auteur eût davantage encadré son sujet, le xvie et le xviie siècle, entre le moyen-âge et les derniers temps modernes. Son histoire se présente à l’œil d’une manière trop isolée, trop fragmentaire, et l’époque qu’il raconte est trop livrée au lecteur sans la connaissance du passé qui l’a produite et sans la perspective de l’avenir qu’elle doit amener.

Quoi qu’il en soit, l’ouvrage de M. Ranke, outre sa valeur historique, peut-il être considéré comme un plaidoyer en faveur du catholicisme ? M. de Saint-Chéron semble le croire dans l’introduction chaleureuse dont il a fait précéder la traduction du livre allemand[1]. Rien n’est plus respectable que les illusions sincères de la foi religieuse. Nous ne saurions avoir la pensée de troubler M. de Saint-Chéron, dont nous estimons le caractère et le talent, dans sa confiance et son espoir. Puisqu’il juge ne pouvoir mieux servir la religion catholique qu’en appelant à son secours l’érudition et l’intelligence du protestantisme, soit ; ce qui importe le plus, c’est la divulgation des faits, préliminaire indispensable au développement des vérités religieuses.

Le catholicisme devra un jour porter sa sollicitude sur trois sujets importans, sur le dogme même, sur l’autorité monarchique des papes et sur l’autorité démocratique des conciles.

Qui pourrait nier la grandeur des dogmes catholiques ? Ils ont, pendant des siècles, conduit et fortifié les hommes ; ils les ont gouvernés ; ils ont su leur servir à la fois d’épouvante et de consolation. Mais la puissance et la beauté des choses qui paraissent sur la terre n’impliquent ni leur vérité absolue ni leur éternité. Dire que les dogmes de la religion catholique forment, avec les parties matérielles de

  1. Cette traduction a été l’objet de justes réclamations ; il est puéril d’avoir voulu faire d’une histoire un livre d’édification catholique.