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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/103

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L’USCOQUE.

— Votre seigneurie se constituera-t-elle le défenseur de son neveu Orio Soranzo ? dit le juge.

— Non, messer, répondit gravement Morosini.

— Votre seigneurie n’a-t-elle rien à ajouter aux révélations qui ont été faites ici, soit pour charger, soit pour alléger la cause des accusés ?

— Rien, messer, répondit encore Morosini. Seulement s’il m’est permis d’émettre un vœu personnel, j’implore l’indulgence des juges pour cette jeune fille que l’ignorance de la vraie religion et les mœurs barbares de sa race ont poussée à des crimes que son cœur généreux désavoue.

Le juge ne répondit point. Il salua le général, qui se tourna vers le comte Ezzelin et lui serra fortement la main. Il en fit autant pour le docteur et sortit précipitamment sans jeter les yeux sur son neveu. Au moment où la porte s’ouvrait pour le laisser sortir, le chien favori d’Ezzelin, qui s’impatientait de ne pas voir son maître, s’élança dans la salle, malgré les archers qui s’efforçaient de le chasser. C’était un grand lévrier blanc, qui ne marchait que sur trois pattes. Il courut d’abord vers son maître ; mais rencontrant Naam sur son chemin, il parut la reconnaître, et s’arrêta un instant pour la caresser. Puis, apercevant Orio, il s’élança vers lui avec fureur, et il fallut qu’Ezzelin le rappelât avec autorité pour l’empêcher de lui sauter à la gorge.

— Et toi aussi, tu m’abandonnes, Sirius ! dit Orio.

— Et lui aussi te condamne, dit Naam.

Le juge fit un signe, Orio fut emmené par les sbires, la porte intérieure du palais ducal se referma sur lui. Il ne la repassa jamais, ou n’entendit jamais parler de lui. On vit un moine sortir le lendemain matin des prisons. On présuma qu’une exécution avait eu lieu dans la nuit.

Naam fut condamnée à mort séance tenante. Elle écouta son arrêt et retourna au cachot avec une indifférence qui confondit tous les assistans. Le docteur et le comte Ezzelin se retirèrent consternés de son sort ; car, malgré le meurtre de Danieli, ils ne pouvaient s’empêcher d’admirer son courage et de s’intéresser à elle.

Naam ne reparut pas plus qu’Orio dans Venise. Cependant on assure que son arrêt ne reçut pas d’exécution. Un des juges examinateurs, frappé de sa beauté, de sa sauvage grandeur d’ame, et de son indomptable fierté, avait conçu pour elle une passion violente, presque insensée. Il risqua, dit-on, son rang, sa réputation et sa vie, pour la sauver. S’il faut en croire de sourdes rumeurs, il descendit