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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/12

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REVUE DES DEUX MONDES.

tenait ni au hasard ni au caractère de mes hôtes ; ce que je voyais chez eux, je l’aurais vu partout : du feu, du pain et des gazettes, toute l’époque était là !

Je m’approchai machinalement et je me mis à feuilleter la première brochure qui me tomba sous la main. La citoyenne Benoist rentra peu après.

— Je lisais un document curieux, lui dis-je, la Pétition des dames françaises à l’assemblée des notables.

— Pour leur admission aux états-généraux, n’est-ce pas ?

— Précisément. Je m’étonne qu’elles n’aient point renouvelé leur requête à la convention qui a proclamé en toute occasion les doctrines de l’égalité, d’autant plus que les signataires font valoir des droits sérieux dans leur pétition.

— Lesquels ?

Leur nombre, d’abord ; leur influence sur tous les hommes, depuis le dépositaire de la feuille des bénéfices jusqu’aux conseillers ; le succès qu’elles auraient contre les ennemis de la nation (je répète les expressions de la requête !) ; les services qu’elles rendent au commerce par les changemens de mode ; enfin, leur douceur, qui saurait tout concilier !

— Ne demandaient-elles pas que toute femme ou fille de quinze ans pût être électrice ?

— Et que toute femme ou fille ayant donné le jour à un citoyen fût éligible ! Seulement, par précaution contre la loquacité des députés femelles, les signataires déclarent qu’il ne leur serait permis de parler que par monosyllabes.

Mme Benoist sourit, puis haussa les épaules.

— Si les femmes veulent devenir des hommes, dit-elle, ce n’est pas à l’assemblée des notables, mais à Dieu qu’elles doivent s’adresser. Le progrès pour nous n’est pas dans la conquête de devoirs nouveaux, il est dans l’accomplissement plus entier et plus intelligent de ceux qui nous sont déjà départis : l’équilibre des sexes doit naître de l’égalité, non dans les fonctions, mais dans l’utilité.

Le citoyen Benoist entra dans ce moment ; sa femme me nomma, il me tendit la main.

— Vous arrivez un mauvais jour, me dit-il.

— Qu’y a-t-il donc ?

— Duchâtel et Lanjuinais sont à Rennes depuis quelques heures ; ils veulent soulever le pays contre la montagne qui les a proscrits.