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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/126

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REVUE DES DEUX MONDES.

a un point où finit la douleur tragique, où commence la douleur qui n’appartient plus à la poésie. Faute d’avoir saisi ce point, M. de Lamartine n’a pas tiré de la tour de la Faim tout le parti que nous pouvions espérer. Le récit de la fuite des deux amans, après la délivrance de Daïdha, n’a pas toujours une clarté suffisante. Mais il offre deux épisodes admirables, le combat de Cedar contre son chien qu’il étouffe en croyant lutter contre un lion, et l’enlèvement des deux enfans, déposés dans les branches d’un palmier par un aigle qui plane au-dessus de Cedar et de Daïdha. Ce dernier épisode est tout-à-fait homérique.

Les fragmens du livre primitif qu’Adonaï met sous les yeux des deux amans, renferment plusieurs parties d’une excellente beauté, plusieurs paraphrases de versets évangéliques, dignes certainement des éloges et de la sympathie de tous ceux qui aiment la poésie religieuse. Mais, le dirai-je ? Ces fragmens qui luttent souvent de grandeur avec les prophètes, de mansuétude et de charité avec les plus beaux chapitres de saint Jean, demanderaient, je ne dis pas à être ordonnés, car le défaut d’ordonnance frappera tous les yeux, mais à être abrégés, ce qui est assurément plus grave. Dans ses extases ferventes, dans ses pieux élans vers la divinité, M. de Lamartine ne s’arrête pas à temps. Il noie trop souvent dans un océan d’images confuses des idées qui, pour garder leur beauté première, auraient besoin de se montrer vêtues avec plus de simplicité.

Les feuilles métalliques sur lesquelles Adonaï grave les préceptes de la sagesse éternelle, sont une invention mesquine et puérile. Quant au navire aérien dans lequel voyagent les messagers des titans, chargés de mettre à mort Adonaï, c’est un caprice empreint d’une ignorance si naïve, qu’il provoquera dans nos colléges le sourire dédaigneux des écoliers de douze ans. Aujourd’hui que l’enseignement des sciences physiques marche de front avec l’enseignement des langues anciennes, il n’est pas permis de construire des navires aériens dans lesquels la proue et la poupe jouent le rôle de poumons. Nous ne pouvions pardonner à M. de Lamartine de parler dans la description du Liban des reflets réfractés, des veines qui s’échappent d’une haute artère ; car les enfans qui lisent Quinte-Curce ou Justin, savent très bien que la réfraction et la réflexion de la lumière sont deux phénomènes très distincts ; ils n’ignorent pas que les artères charrient le sang du cœur aux extrémités, tandis que les veines le charrient des extrémités au cœur. Mais son navire aérien dépasse en ridicule, en puérilité, en ignorance, les plus misérables inventions. Le récit de la mort d’Ado-