Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/125

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
121
LA CHUTE D’UN ANGE.

sieurs strophes, est plutôt singulière que grande, et pour émouvoir, pour être sublime, elle a besoin d’être indiquée en traits rapides, comme dans les Psaumes de David, comme dans le livre d’Isaïe. Mais je sais bon gré au poète d’avoir placé, avant la description du combat de Cedar et des Titans, qui veulent ravir Daïdha, un tableau plein de grace et de pudeur, où la nudité se montre, comme dans les marbres grecs, plus chaste et plus sévère que le plus discret vêtement. Le sommeil de Daïdha, éclairée par les rayons de la lune, dont les contours se dessinent sous une lueur argentée, n’est pas indigne d’être comparé aux plus belles inspirations de la poésie antique : il est, je crois, impossible de pousser plus loin la pudeur dans la franchise.

La captivité de Cedar et l’amour qu’il inspire à Daïdha sont racontés avec un charme dont notre langue n’avait pas offert le modèle depuis l’unique et beau roman de Bernardin de Saint-Pierre. Il y a même, dans la passion de Cedar et de Daïdha, une hardiesse, une naïveté à laquelle n’atteint pas Bernardin-de-Saint-Pierre, et dont M. de Lamartine semble avoir dérobé le secret à la Chloé de Longus, à la Nausicaa d’Homère. L’éducation de Cedar par Daïdha, les leçons données par le rossignol à sa couvée, et qui servent de modèle à Daïdha, sont empreintes d’une grace que je ne saurais trop louer.

L’amoureuse union de ces deux belles créatures, en face de Dieu, sur un tapis de fleurs, sous un berceau embaumé, est racontée par M. de Lamartine avec une richesse d’images vraiment éblouissante. Pour ma part, je l’avoue, j’eusse mieux aimé un peu plus de sobriété dans le choix des couleurs ; mais je n’ai pas le courage de blâmer un tableau qui me ravit en extase. Jamais le dernier abandon d’une femme qui sent doubler sa vie par le bonheur qu’elle donne, jamais la confusion de deux ames qui se sanctifient en s’unissant, n’a été retracée avec plus d’abondance et d’entraînement, plus de franchise et de pureté ; il faut aller chercher dans Moïse et dans Milton le modèle de cette scène admirable qui concilie avec une étonnante simplicité l’ivresse des sens et l’enthousiasme du cœur.

Les joies et les douleurs de Daïdha devenue mère, la ruse employée par sa famille pour découvrir le nom de l’homme qu’elle aime, ses deux enfans allaités par une gazelle et découverts sous le feuillage pendant le dénombrement des troupeaux, composent une série de tableaux pleins de fraîcheur et d’intérêt. La miraculeuse délivrance de Daïdha, condamnée à périr dans la tour de la Faim, ne produit pas tout l’effet qu’elle eût produit, sans doute, si l’auteur eût apporté plus de mesure dans la description du supplice infligé à Daïdha. Il y