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l’incognito dans son dernier voyage à Rome, pour ne pas élever des questions d’étiquette à propos desquelles on eût ranimé les anciennes prétentions du saint-siége, fondées sur les traités du XIIIe siècle.

Manfred fut tué dans le premier combat qu’il livra, près de Bénévent, aux soldats du comte d’Anjou. Mais Conradin, fils de Conrad, avait grandi. Il avait quinze ans. En peu de jours, il accourut aux frontières du royaume de Naples. Il était aidé par son frère le duc d’Autriche, par Alfonse, roi d’Aragon, et par Conrad, prince d’Antioche. Ce dernier occupa le château de Sciacca, et pendant ce temps le duc d’Autriche s’en alla en Afrique chercher des bandes de Sarrasins, qui avaient toujours les yeux tournés vers le pays de Sicile, et qui étaient toujours prêts à seconder tous ceux qui voulaient le conquérir. L’armée de Conradin, composée de Lombards, de Sarrasins, d’Allemands et d’Espagnols, fut défaite dans les Abbruzzes, et le pauvre jeune prince, se voyant perdu, prit un sayon de pâtre, et tâcha de gagner la Sicile ; mais au passage d’une rivière, un batelier le reconnut pour un noble seigneur, à sa bague et à ses longs cheveux blonds. Il fut pris et conduit au comte d’Anjou, qui le fit exécuter publiquement, à Naples, par la main du bourreau. La mort de ce jeune et dernier rejeton de la maison de Souabe, qui avait gouverné l’empire et régné soixante-dix-sept ans en Sicile, est un des épisodes les plus touchans de l’histoire.

Voici maintenant la Sicile placée violemment sous la maison d’Anjou. De cette époque date sa décadence. La domination des Angevins fut courte, mais désastreuse. Charles d’Anjou réduisit d’abord systématiquement la nation sicilienne à un état de nullité et d’asservissement tel, que le régime sarrasin devait lui sembler préférable. Les collectes que levaient quelquefois les princes de Souabe pour soutenir leurs guerres, furent converties en impôts réguliers. Charles d’Anjou avait contracté des dettes immenses pour conquérir les Deux-Siciles ; il devait tribut au pape ; ses capitaines étaient exigeans ; il livra la Sicile à leur licence et à leur rapacité. Son armée était composée de soldoyers de toutes les nations, surtout de Français.

C’était une de ces époques si fréquentes dans l’histoire où les Français remplissaient le monde de leurs exploits et de leurs désastres. Le roi Louis IX, son frère Charles d’Anjou, et ses trois fils, assiégeaient Tunis, et combattaient, sur le rivage d’Afrique, les Sarrasins, qui avaient encore tant de part dans les affaires d’Italie. La peste décima l’armée française et la priva de son roi. Le siége fut levé, et la flotte française se dirigea vers la Sicile, où elle fut en partie détruite