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LA SICILE.

le cœur en faillissait même au brave amiral Nelson, qui dirigeait cette fuite ! Et, au milieu de ce désordre et de cette désolation, une seule personne était impassible ; c’était la jeune reine Caroline. Tandis que le roi faisait des vœux à saint Gennaro et à saint François de Paule, et que les ministres priaient à genoux autour de lui, la reine donnait des ordres avec sang-froid, et admirait paisiblement la marche impérieuse du navire de l’amiral Carraciolo, qui voguait si fièrement, qu’il semblait commander aux vents. Enfin, après tant de jours de douleurs et de souffrances, que la reine ne semblait pas ressentir, on aborda à la Banchetta de Palerme ; et, avant de mettre le pied sur le rivage, elle se tourna vers la foule qui l’entourait, en s’écriant : « Palermitains, voulez-vous recevoir votre reine ? » Qu’on juge de l’accueil qu’elle reçut.

Il n’y avait plus alors de système ni de principes politiques parmi les souverains, il n’y avait que la haine et l’effroi de la révolution française. Cette haine et cette peur menèrent loin, et je n’ai pas la pensée de justifier les actes que dictèrent ces deux passions. Ils furent cruels et terribles.

Au premier mouvement d’abandon de la reine en débarquant, à ce véritable mouvement de femme, succéda le sentiment politique de la défiance que lui inspirèrent, ainsi qu’au roi, les Siciliens. Tous les ministres furent choisis parmi les Napolitains. Les Napolitains occupèrent tous les emplois, et la Sicile fut soumise à des mesures de rigueur excessives.

Comme il fallait de l’argent, on assembla le parlement où une opposition se forma et prit pour chef le prince de Belmonte. Les évènemens avaient marché, et la présence des Anglais en Sicile donnait quelque force aux idées parlementaires. Le parlement n’accorda qu’une partie des subsides ; un cadastre général fut ordonné, et pour la première fois, tous les biens fonciers soumis à l’impôt, sans distinction de biens allodiaux, féodaux ou ecclésiastiques. La cour s’irrita du refus de voter tous les impôts qu’elle avait demandés, et en établit quelques-uns par des décrets royaux. En même temps, elle ordonna la vente de plusieurs biens du domaine. Une remontrance au roi fut signée par les principaux barons de Palerme ; l’irritation de la cour ne fit que s’en augmenter, et l’on décida secrètement de prendre des mesures violentes contre les signataires de la proposition. Ce fut en vain que le duc d’Orléans, qui résidait alors à Palerme, où il avait épousé la princesse Marie-Amélie, fille du roi Ferdinand, essaya de faire entendre les conseils d’une sagesse et d’une modération dont