Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/207

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
203
SOUVENIRS D’ÉCOSSE.

Ben-More et du Bientalindh, les deux principales montagnes de l’île. L’air des montagnes, combiné avec l’air de la mer, nous avait donné un terrible appétit de voyageurs. Au moment de nous mettre à table, nous nous aperçûmes avec consternation que nos guides avaient apporté pour toutes provisions, un pain, du wiskey, une chaudière et un briquet. William était furieux, et je n’étais guère de meilleure humeur que lui ; comme nous descendions de cheval, l’un de nos guides s’était éloigné, sans doute pour échapper à une première explosion de reproches ; celui qui était resté près de nous, tout en écoutant nos doléances et nos malédictions, déployait la nappe, et plaçait les fourchettes, les couteaux et le sel sur un gros rocher, disposé à souhait pour nous servir de table, avec un sang-froid désespérant. Des fourchettes et du sel pour manger son pain tout sec, cela ressemblait tellement à une mauvaise plaisanterie, que William commençait à s’échauffer et à prendre à partie l’impassible montagnard, quand nous vîmes son compagnon qui revenait lestement, tenant d’une main son fouet, dont il avait fait une ligne, et de l’autre un saumon de cinq ou six livres et un autre beau poisson, que les montagnards appellent lith, et qui ressemble au cabillaud. Notre homme avait attaché une ficelle et des hameçons au manche de son fouet, il avait amorcé avec du pain d’avoine, et, en quelques instans, il avait fait sa pêche. Son compagnon ne perdit pas de temps ; le pêcheur nous avait à peine rejoints, qu’un grand feu de bruyères flamboyait sous la chaudière pleine d’eau. Tous deux vidèrent ensuite le lith et le saumon, jetèrent le premier dans la chaudière, coupèrent le second par tranches de plusieurs pouces d’épaisseur, les enveloppèrent dans du papier que nous leur donnâmes, et les glissèrent sous la braise, ayant soin de les bien couvrir. Pendant que notre déjeuner cuisait, le pêcheur s’éloigna de nouveau, et revint cette fois au bout d’un quart d’heure avec une vingtaine d’œufs de grouse qu’il venait de dénicher dans la bruyère voisine.

— Si nous avions songé à prendre un fusil, nous dit-il, nous eussions pu faire un meilleur déjeuner et aux dépens du duc d’Argyle, car il y a de fameux rôtis de grouse ou de ptamirgan dans la bruyère voisine, et sa grace est si riche…

Tout en exprimant ses regrets, il rangeait les œufs sous la cendre, à côté du saumon ; son compagnon ajoutait à notre menu quelques coquillages qu’il ramassait sous les rochers au bord de la mer. Bientôt le déjeuner fut prêt, et nous lui fîmes honneur. Le saumon surtout était excellent ; les œufs seuls avaient un abominable goût de vernis, et, quoique le montagnard nous assurât qu’il avait choisi le meilleur des trois nids qu’il avait découverts, on eût pu leur reprocher plus d’un jour de couvée. Quand nous eûmes fini ce déjeuner qui prouvait surtout en faveur de la foi qu’ont les habitans de Mull en la Providence, nous remontâmes sur nos poneys que nous avions laissés courir au hasard, sûrs que nous étions de les ramener au bercail en leur présentant quelques bribes de pain d’avoine. Pendant plusieurs heures, nous longeâmes