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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/208

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REVUE DES DEUX MONDES.

la côte solitaire et montagneuse du Loch-Seredon, la quittant quelquefois pour gravir des collines nues du haut desquelles nous avions de vastes échappées de vue sur la mer et les îles environnantes. Dans l’ouest, nous apercevions quelques champs cultivés. Cette partie de l’île de Mull, le tiers environ, qui, sur une longueur de huit scocs (douze milles), s’étend du lac Seredon à Moy et à l’île d’Iona, appartenait aux Mac-Leans de Loch-buy, qui avaient fixé leur résidence dans le château de Moy dont on aperçoit les ruines sur un rocher faisant face au continent d’Écosse ; aujourd’hui c’est la propriété du duc d’Argyle.

L’île de Mull n’est pas peuplée en raison de son étendue. Pendant une route de plusieurs heures, nous n’avons rencontré que trois habitans, un pâtre et deux pêcheurs. Le pâtre, la toque en tête et le plaid à carreaux roulé sur la poitrine, portait le costume national des Highlanders, moins le phillabeg ou tablier.

À la hauteur du château ruiné de Moy, la route pénètre entre de hauts rochers d’un gris de fer ou d’un noir d’ardoise qui partent du centre de l’île et qui, tout à coup, rencontrant la mer, forment un énorme promontoire à l’entrée du loch Seredon. La mer, poussée par le terrible vent d’ouest, a rongé la base du promontoire qui s’incline sur les flots d’une manière effrayante. De distance en distance, de larges crevasses, que les infiltrations des eaux du ciel ont creusées, isolent des pans entiers de rochers du noyau principal auquel ils n’adhèrent plus que par leur base encore intacte. Souvent cette base est si étroite, que ces énormes morceaux de basalte[1] semblent miraculeusement suspendus sur les eaux. Quand on les voit de loin, on croirait n’avoir qu’à pousser du pied ces blocs de rochers, gros comme les maisons du High-Street à Édimbourg, pour les faire rouler dans les flots. L’un de nos guides, jeune homme alerte et robuste, nous faisait frémir lorsque, quittant le sentier battu, il s’engageait entre ces blocs à demi écroulés, et, qu’agile comme l’écureuil ou le chat-pard, il sautait d’un roc à l’autre ou penchait tout son corps sur la mer pour dénicher quelques œufs de gannet ou d’eider-duck ; l’adroit montagnard riait de nos terreurs ; nos gestes et nos cris ne faisaient qu’accroître son audace, et nous n’étions un peu rassurés qu’en voyant son compagnon plus âgé pousser de sauvages éclats de rire à chacune de ses prouesses.

— À son âge, j’en aurais fait bien davantage, nous disait-il en se redressant. Les Mac-Leans sont légers comme le duvet de l’oiseau, ils ne pèsent pas sur le rocher ; comme le crabbe ou le pic des bois, ils ont des crampons aux pieds et aux mains, jamais ils ne tombent à moins que, comme Murdoch de Scalladale, ils ne se jettent dans la mer la tête la première.

— Quel était ce Murdoch ? sans doute un fou ?

  1. Mull, comme Staffa et les îles voisines, est d’origine volcanique ; le Ben-More est un volcan éteint.