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MÉMOIRES DE LAFAYETTE.

dont le mauvais succès les ferait empirer. Il faut déplorer que l’on ait mal compris notre situation en Europe ; mais pour tâcher de recouvrer notre réputation, nous devons prendre garde de la compromettre davantage. » On voit que chacun reste dans son rôle ; mais ces rôles divers se reproduisent trop fréquemment dans la suite des évènemens, pour qu’on les puisse attribuer à la seule différence des âges. Or, ce qui est du caractère persiste, se recouvre peut-être, mais se creuse assurément plutôt que de diminuer, avec l’âge. Le premier mobile de Lafayette est l’opinion dans le sens honorable, la gloire dans le sens antique, le lòs honnête. On peut acquérir plus tard de l’expérience, de l’habileté, de la finesse ; on en acquiert ; c’est inévitable ; chacun a la sienne en avançant dans la vie et à force de se mesurer aux épreuves. Mais cette expérience acquise, il est rare qu’on ne l’emploie pas autour de sa qualité première fondamentale, qu’on ne la mette pas préférablement au service de son premier tour de caractère, quand il est décisif et dominant. J’essaie de saisir et d’indiquer dans ses fondemens l’idée qui est devenue la vie même de Lafayette et qui est le mot de son rôle : la plus grande faveur populaire entourant et couronnant aussi constamment que possible la plus grande vertu civique. Cette conciliation en soi est assez difficile, et Lafayette l’a assez bien atteinte, pour qu’on ne puisse s’étonner que, la première jeunesse passée, il s’y soit mêlé chez lui un peu d’art, un art toujours noble.

Dans cette première partie des mémoires et de la vie de Lafayette, à côté de la jeune, enthousiaste et pure figure du disciple est celle du maître, du véritable grand homme d’état républicain, de Washington. À lire les détails de la lutte commençante et les vicissitudes si prolongées, si tiraillées, on comprend, à moins d’avoir un système de philosophie de l’histoire préexistant, combien la destinée de l’Amérique du nord était liée à lui, et combien, un homme manquant, il pouvait de ce côté ne pas se former d’empire. — On parlait de Washington : « C’est un bien grand homme, disais-je, et les Mémoires du général Lafayette montrent que sans lui la révolution d’Amérique aurait pu de reste ne pas réussir. » — « Oui, répondit un philosophe, il était bien nécessaire ; mais, quand les choses sont mûres, ces sortes d’hommes nécessaires se rencontrent toujours. » — À la bonne heure ! aurait-on pu répliquer, mais n’est-ce pas que, lorsqu’ils ne se présentent point, on aime à croire que c’est que les choses et les idées n’étaient pas encore mûres ?

On connaissait déjà quelques-unes des principales lettres de Was-