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Napoléon fit un geste de surprise, et demanda une explication qu’on lui donna.

— Que pense le peuple de moi ? dit-il en s’adressant de nouveau à Leperdit.

— Le peuple vous admire.

— Est-ce tout ?

— Oui.

— Ainsi, on me reproche quelque chose ?

— L’arbitraire, sire.

L’empereur, qui marchait, s’arrêta devant Leperdit, et le regarda en face.

— Vous tenez à me prouver, monsieur, que le proverbe a raison quand il parle de la franchise des Bretons ?… Du reste, j’aime qu’on dise ce qu’on a dans le cœur… Tenez.

Et faisant un signe au tailleur, il l’attira dans une embrasure de fenêtre, où il l’entretint une heure entière. Leperdit soutint cette conversation sans embarras, repoussant les propositions de l’empereur, et laissant voir ses opinions républicaines. Lorsqu’il se retira, Napoléon le suivit du regard.

— Homme de fer ! murmura-t-il.

Et il rentra brusquement.

Le soir même, le maire de Rennes, le marquis de Blossac, qui s’était montré plus docile que son compagnon, reçut le brevet qui le nommait chevalier de la Légion-d’Honneur.

Depuis cette époque jusqu’aux cents jours, Leperdit resta étranger aux affaires politiques. Malgré son âge, il reprit alors sa vieille cocarde, et marcha avec les fédérés au secours de Nantes, que les Vendéens menaçaient. Au retour de Louis XVIII, il fut porté sur la liste des conseillers municipaux ; mais il refusa de prêter serment. Le préfet furieux le fit mander.

— Prenez garde, dit-il au vieillard, on ne se montre point impunément hostile à sa majesté ; je pourrai vous l’apprendre.

— Vous êtes bien jeune, et moi bien vieux, pour que je reçoive des leçons de vous, répondit le tailleur en souriant.

— Vous prêterez serment, monsieur !

— Jamais !

— Vous levez la tête bien haut.

— C’est que je n’ai dans ma vie rien qui puisse me la faire baisser.

Le préfet confus s’excusa, et reconduisit Leperdit jusqu’à la porte.

Mais la liberté, que celui-ci avait adorée comme sa sainte, et à