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DUPONT ET DURAND.

Qui dans ses doigts transis souffle avec désespoir,
Et rôde en grelottant sous un mince habit noir ?
J’ai vu chez Flicoteau ce piteux personnage.

DUPONT.

Je ne me trompe pas ? Ce morne et plat visage,
Cet œil sombre et penaud, ce front préoccupé,
Sur ces longs cheveux gras ce grand chapeau râpé…
C’est mon ami Durand, mon ancien camarade.

DURAND.

Est-ce toi, cher Dupont ? Mon fidèle Pylade,
Ami de ma jeunesse, approche, embrassons-nous.
Tu n’es donc pas encore à l’hôpital des fous ?
J’ai cru que tes parens t’avaient mis à Bicêtre.

DUPONT.

Parle bas. J’ai sauté ce soir par la fenêtre,
Et je cours en cachette écrire un feuilleton.
Mais toi, tu n’as donc pas ton lit à Charenton ?
L’on m’avait dit pourtant que ton rare génie…

DURAND.

Ah ! Dupont ! que le monde aime la calomnie !
Quel ingrat animal que ce sot genre humain,
Et que l’on a de peine à faire son chemin !

DUPONT.

Frère, à qui le dis-tu ? Dans le siècle où nous sommes,
Je n’ai que trop connu ce que valent les hommes.
Le monde, chaque jour, devient plus entêté,
Et tombe plus avant dans l’imbécillité.

DURAND.

Te souvient-il, Dupont, des jours de notre enfance.
Lorsque, riches d’orgueil et pauvres de science,
Rossés par un sous-maître et toujours paresseux,
Dans la crasse et l’oubli nous dormions tous les deux ?
Que ces jours bienheureux sont chers à ma mémoire !

DUPONT.

Paresseux ! tu l’as dit ! Nous l’étions avec gloire ;