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seconde fois l’Europe entière ou de subir ses lois. Dans le premier cas, guerre de destruction au dehors et république au dedans ; dans le second, servitude et démembrement. Pour échapper à ces deux extrémités, elle contracta une grande alliance de principes. L’Angleterre était, comme elle, un état libre ; comme elle, elle avait aussi brisé une dynastie qui avait violé ses lois politiques : elle avait un intérêt immense à empêcher une nouvelle guerre générale qui eût remis tout en question. Elle n’hésita pas un moment ; elle offrit loyalement son appui au gouvernement français sorti du flot populaire, et l’Europe assista à un phénomène rare dans l’histoire, celui d’une alliance sincère entre deux grands peuples si long-temps ennemis et rivaux que le monde semblait trop petit pour les contenir tous les deux. Cette alliance avait pour but le maintien de la paix et de l’ordre de choses que la révolution de 1830 avait créé en France. C’était là sa mission, et elle l’a dignement remplie. La paix et l’indépendance de la France ont été également respectées ; contre cette grande alliance sont venues se briser toutes les passions guerroyantes du continent, quels que fussent leurs points de départ et leurs tendances, qu’elles vinssent de l’oligarchie européenne et des trônes absolus ou des rangs inférieurs de la démocratie. Sous sa puissante égide, la Belgique, la Suisse, l’Espagne, le Portugal, ont pu accomplir leurs révolutions sans devenir des causes de guerre générale. Distraits du système des monarchies absolues pour entrer dans celui des gouvernemens représentatifs, ces états ont agrandi notre sphère d’action, et sont devenus les bases de notre nouvelle puissance fédérative. C’est ainsi que l’équilibre a été rétabli entre les deux forces qui se divisent l’Europe, et que, se contenant l’une par l’autre, éclairées par les sanglantes expériences du passé, elles se sont fait en quelque sorte leur part mutuelle, se réservant l’une le Nord, l’autre l’Occident, évitant avec soin et par une sorte de convention tacite de ne point se blesser dans leur sphère réciproque d’influence et d’activité.

Une paix de huit années a été le fruit de cette politique habile et conservatrice, et, à son tour, la paix a produit de grands résultats. Elle a calmé les passions, amorti les haines, découragé plus d’une folle espérance, mûri toutes les questions, et préparé ainsi l’œuvre de l’avenir ; enfin, elle a contribué à jeter l’Europe dans cette voie de travaux matériels et d’industrie qui semble, en ce moment, absorber l’ardeur de ses forces, et dans laquelle tous, peuples et gouvernemens, quels que soient leurs principes et leurs drapeaux, se précipitent à l’envi.