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pour elle les périls sont partout ; elles ont détruit dans l’âme des musulmans cette foi dans le présent et l’avenir qui est pour les peuples comme pour les individus une des conditions de la vie morale ; elles ont mis à nu toutes les misères de ce gouvernement et donné au monde la mesure de son impuissance à se protéger lui-même. Depuis ces luttes désastreuses, la Porte a perdu le sentiment de son indépendance, elle a cessé de s’appartenir, elle est devenue l’instrument du plus redoutable de ses ennemis, en attendant qu’elle devienne sa proie : minée dans toutes ses bases, attaquée dans sa vieille foi politique et religieuse et dans ses institutions nouvelles, elle n’est plus qu’une ruine vivante, un fantôme d’empire. Le traité d’Unkiar-Skelessi dont il a été fait tant de bruit, n’a point été un nouvel empiétement de la Russie dans les affaires du Levant. Il n’a fait que consacrer, sous une forme sensible, le résultat de la guerre de 1828, la servitude du sultan sous les lois du czar. Ce prince affecte aujourd’hui une modération pleine de désintéressement. La Turquie lui devait encore une partie de sa contribution de guerre ; il lui en a fait remise ; il a évacué les places du Danube ainsi que la Moldavie et la Valachie que ses généraux administraient depuis sept ans avec un zèle et une habileté qui ne se déploient guère que pour des possessions que l’on doit conserver. Il fait plus encore : il offre à la Porte sa protection ; il met à son service ses flottes et ses armées contre tous ses ennemis tant intérieurs qu’extérieurs. Ses agens officiels ou secrets, répandus dans toute l’Europe, travaillent à détruire les préventions générales qu’inspire sa politique, à établir cette opinion que la Russie, satisfaite de sa grandeur actuelle, livrée tout entière aux perfectionnemens de sa civilisation intérieure, aux travaux pacifiques de l’industrie et du commerce, repousse, comme funeste aux intérêts de l’empire, toute pensée de conquêtes nouvelles en Orient. L’Europe n’est point la dupe de pareils artifices. La protection que la Russie accorde à la Porte est cette protection du lion qui couvre sa proie et la défend contre l’avidité de ses autres ennemis. Elle veut la laisser vivre jusqu’au jour où elle pourra lui porter les derniers coups sans provoquer contre elle-même de trop grands dangers. L’Occident, dans ses conditions actuelles, la maîtrise et la contient : elle craindrait, si une guerre d’Orient venait aujourd’hui à s’allumer, d’avoir à lutter contre presque toutes les forces de l’Europe. Voilà le secret de sa feinte modération. D’ailleurs, il faut le dire, sa position est admirable : elle n’a plus de forces, plus de résistances sérieuses à surmonter la Turquie : elle a la mesure exacte de la débilité de cet empire, et