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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/30

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REVUE DES DEUX MONDES.

— Ce garçon n’est point indiqué sur ta feuille de route, disait l’officier.

— C’est mon fils.

— Peu importe ; nous ne laissons passer personne sans sauf-conduit spécial : c’est la consigne.

— Pas même un enfant ?

— Il n’y a plus d’enfant ; la nation ne reconnaît que des aristocrates et des sans-culottes ; retourne demander un laissez-passer pour ton jeune gars.

Le voyageur désappointé sortit ; mais ce que je venais d’entendre m’épouvanta. Les mêmes difficultés que l’on venait d’élever à propos du jeune homme, allaient se présenter pour ma compagne de voyage qui n’était point désignée sur mon passeport. Je compris sur-le-champ qu’il ne me restait d’espoir que dans l’audace, et que la seule chance d’éviter le coup qui nous menaçait, était d’aller au-devant.

Je m’avançai donc résolument vers l’officier. — Pardieu, citoyen, m’écriai-je, j’espère au moins que ta consigne ne regarde pas les femmes ?

— Les femmes comme les hommes.

— Bah ! est-ce qu’on a peur qu’elles ne passent à l’ennemi ?

— Je n’en sais rien.

— Je ne savais pas que ce fût une marchandise prohibée, et pour laquelle il fallût un passe-debout.

— Maintenant tu le sais.

Toutes ces réponses avaient été faites d’un ton bref ; l’officier semblait enfermé dans son devoir comme dans une cuirasse et décidé à ne causer ni rire. Il ne me restait plus qu’un espoir ; je me tournai vers la jeune fille, et lui dit :

— Tu entends cela, mon enfant, tes beaux yeux ne peuvent te servir de passeport !

Ainsi que je l’avais prévu, l’officier leva la tête pour regarder Claire ; il parut frappé de sa beauté.

— Est-ce que la citoyenne n’a point de laisser-passer ? demanda-t-il d’une voix moins brève.

— Elle n’y a même pas songé. C’est une pauvre enfant qui est venue voir ses parens à Rennes, et qu’on m’a prié de reconduire, de peur qu’il ne lui arrivât quelque chose en route ; mais ma foi, elle attendra une autre occasion.