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dans des conditions bien plus favorables que l’Autriche qui, avec un intérêt plus direct encore que le sien à contenir son redoutable voisin, est obligée de subordonner sa conduite à celle de la France. Elle jouit d’une entière indépendance dans tous ses mouvemens ; elle a la liberté de l’attaque comme celle de la défense.


Examinons maintenant les intérêts de la France dans la question d’Orient.

De toutes les grandes puissances de l’Occident, la France est celle dont les intérêts propres se trouvent le moins directement engagés dans cette question. La sûreté de son territoire, la prospérité de son commerce, les prétentions de sa marine n’exigent point impérieusement la conservation de l’empire ottoman. Elle n’a point de possessions, point de colonies que pourrait compromettre l’établissement des Russes aux Dardanelles. Son commerce avec les ports du Levant est loin d’avoir l’importance de celui des Anglais, et, quant à sa marine, elle ne saurait prendre ombrage du développement de la marine russe dans la Méditerranée. Il ne faut point qu’elle se laisse dominer par les intérêts accidentels du présent, qu’elle se regarde comme enchaînée à tout jamais à la fortune de l’Angleterre. Les deux puissances n’ont point, pendant trois siècles, rempli le monde de leur rivalité et de leurs terribles luttes pour de puériles vanités nationales et des passions mesquines. Bien des préjugés sont détruits sans doute ; les deux peuples, éclairés par l’expérience, ont perdu, dans la poursuite de leurs intérêts, cette jalousie âpre et ardente qui rappelait l’antique rivalité de Rome et de Carthage. Cependant, sur presque tous les points, leurs intérêts positifs sont restés ennemis. Comprimés momentanément dans les liens d’une alliance de principes, ils se heurteront de nouveau dès que les deux puissances auront été rendues à toute l’énergie de leurs tendances. Une politique large et prévoyante doit savoir concilier les exigences du présent avec celles de l’avenir. Du haut des rochers de Malte et de Gibraltar, l’Angleterre aspire à dominer la Méditerranée. C’est dans cette mer toute française qu’elle est surtout pour nous une rivale incommode. La grandeur future de notre domination en Afrique n’a pas d’ennemie plus redoutable. Aussi, bien loin d’écarter la Russie de la Méditerranée, peut-être, sous le point de vue exclusivement maritime, est-il de l’intérêt de la France de l’y appeler, parce qu’avec son appui, il lui sera plus facile un jour de chasser l’Angleterre de cette mer, sauf ensuite, elle et sa nouvelle rivale, à s’en disputer la domination ; mais alors, elle en triompherait