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AFFAIRES D’ORIENT.

comme une seconde victoire remportée par le Nord sur l’Occident. L’intérêt de l’Europe et de la civilisation exigeaient que la Prusse remplît, au nord de l’Allemagne, la même destination que l’Autriche au midi, qu’elle fût constituée assez fortement pour être tout-à-fait indépendante de la Russie et se trouver en mesure de la contenir. C’est de cette manière seulement qu’elle pouvait s’élever à de hautes destinées et devenir une des bases fondamentales de la sécurité générale. Mais le congrès de Vienne sembla prendre à tâche de changer tout le rôle de cette monarchie. Il était impossible de distribuer plus mal les élémens dont elle est composée, de lui donner un territoire plus tourmenté et qui l’exposât à plus de périls. Elle a été projetée, depuis le Niémen jusqu’à la Moselle, sur une ligne immense qui, en l’énervant, enlève à sa puissance militaire toute spontanéité dans ses mouvemens. Débordée par la Russie sur sa ligne militaire du nord, elle a perdu de ce côté la liberté de son action. Précisément parce qu’elle était à ce point vulnérable au nord, il était indispensable de la fortifier au centre : on le pouvait en lui donnant toute la Saxe. On a mieux aimé couper ce royaume en deux, en donner une moitié à la Prusse et laisser le tronc mutilé à la maison de Saxe. C’était là une combinaison vicieuse, parce qu’elle n’a point d’avenir, et que la Prusse n’aura de repos ni n’en laissera à l’Europe qu’elle n’ait réuni à son territoire toute la Saxe. Ce n’est que de cette manière qu’elle acquerra une force de compacité qu’elle ne peut trouver dans des provinces enfilées les unes aux autres comme les grains d’un chapelet. Enfin, pour couronner cette œuvre de malhabileté, le congrès de Vienne, en établissant la Prusse aux portes de Sedan et à quarante-cinq lieues de Paris, a jeté cette puissance en dehors de sa sphère d’expansion, et lui a donné pour ennemie la France qui, dans l’ordre de bataille de l’Europe, si je puis m’exprimer ainsi, était destinée à être sa force d’arrière-garde contre la Russie. Ainsi, servitude au nord, existence incomplète au centre, périls au midi ; telle est la triste condition de la Prusse depuis 1815. Toutes les positions respectives ont été faussées, tous les rôles intervertis. La Prusse devait servir de digue à la Russie, et elle est devenue presque son instrument ; elle devait lui fermer l’Allemagne, et elle lui en a ouvert le cœur ; elle devait servir de boulevart à l’Occident, et c’est contre l’Occident qu’elle a été tournée. Il semble qu’on ait voulu que le jour où les Russes se décideraient à fondre sur l’Europe, ils ne trouvassent au nord de l’Allemagne ni résistance ni ensemble, mais seulement des parties sans appui et sans cohésion, des extrémités grêles, un