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DE L’ÉGLOGUE LATINE.

l’expression allégorique de cette conversion. Cet ouvrage ne dément pas non plus les qualités de grammairien que donne le titre à son auteur ; le grammairien s’y fait reconnaître, en effet, au choix peu judicieux du mètre choriambique, ainsi qu’au placage érudit de passages dérobés à des histoires et à des poètes plus anciens, qui y compose, de toutes pièces, le tableau d’une épizootie.

Des fléaux pareils ravagèrent l’empire à la fin du IVe siècle et au commencement du Ve. Auquel Severus Sanctus fait-il allusion ? On ne sait. Un passage curieux de son poème, qui montre le Christ adoré seulement dans les villes, tandis que les campagnes ne connaissent encore que les faux dieux, nous reporte à l’origine même du mot pagani, au règne de Théodose, sous lequel existait l’ordre de choses qu’il atteste. Voici le sujet du poème :

Agon remarque la tristesse d’un pasteur désigné par le titre de Bubulcus ; il le force, malgré sa résistance, à lui en confier la cause. Ce pasteur, naguère riche, se trouve ruiné par l’épizootie qui, de la Pannonie, de l’Illyrie, a pénétré dans les provinces belgiques, et de là dans le reste de la Gaule, sans doute dans l’Aquitaine, d’où on croit qu’était notre poète. Il trace de ce fléau, et des scènes de désolation dont la perte de ses propres troupeaux l’ont rendu témoin, un tableau qui n’est pas toujours de bon goût, ni d’un style bien pur, mais qui est quelquefois touchant. Agon s’étonne que le fléau épargne certains pasteurs, Tityre, par exemple, qu’il voit venir. Tityre, c’est dans la pastorale le nom de convention du berger heureux, et le choix fait ici de ce nom était comme indiqué par Virgile :

Nec mala vicini pecoris contagia lædent.


Tityre, interrogé sur ce qui a protégé ses bestiaux, attribue leur conservation merveilleuse au signe de la croix fait sur leurs fronts ; il vante la nouvelle religion, religion aux rites non sanglans, qui n’exige rien que la foi, et il n’a pas de peine à y gagner, par sa naïve prédication, les deux bergers, qu’il emmène vers la ville au temple du vrai Dieu. Voilà donc l’églogue antique devenue, par l’allusion, par l’allégorie, par l’imitation de ses formes, et même par les emprunts matériels du centon (comme chez un certain Pomponius cité dans les Origines d’Isidore), une expression des idées chrétiennes. Cela ne semble pas étonnant, quand on se rappelle que la quatrième églogue de Virgile avait été regardée dans les premiers siècles de l’église comme une prophétie de la venue du Christ, soit que la sibylle et son poétique traducteur Virgile eussent à leur insu annoncé la vérité, soit que