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promettent quelque chose. La phrase in cha Allah, qu’il contracte en celle de ’ch’Allah (s’il plaît à Dieu), est continuellement sur ses lèvres, et souvent même sans que la nature des idées exprimées la rende bien nécessaire. Il est sans doute pénétré de ce passage du Koran où l’on trouve : « Ne dis jamais : Je ferai cela demain, sans ajouter : In cha Allah, » et il ne veut pas courir le risque de commettre la même faute que Mahomet, qui, ayant été prié par des chrétiens de leur raconter l’histoire des sept dormans, répondit : « Je vous la raconterai demain, » oubliant d’ajouter : In cha Allah, omission pour laquelle il fut blâmé.

Après avoir entretenu l’émir de choses indifférentes, nous abordâmes les diverses demandes que nous nous proposions de lui adresser. Je lui avais fait cadeau, dès la première audience, d’un fort joli manuscrit arabe, trouvé à Constantine. Cet ouvrage, intitulé Dalil Kheirat (voie du bien), renfermait des prières et d’autres sujets de dévotion. Abd-el-Kader parut le recevoir avec grand plaisir, tant à cause des matières qui y étaient traitées que parce qu’il provenait de la bibliothèque de Ben-Aïça, lieutenant du bey Ahhmed. Je n’avais pas agi en cela dans des vues tout-à-fait désintéressées, cette générosité ayant pour but de disposer favorablement l’esprit de l’émir de qui j’espérais obtenir une faveur. En effet, dans notre dernière audience, je lui demandai la permission de voyager dans le Kobla (le midi). On désigne ainsi en idiome vulgaire la partie de l’Algérie qui s’étend entre le Petit-Atlas et le Sahhara, et forme un long territoire qui renferme une partie de l’Afriqyah des anciens géographes arabes.

À cette requête, Abd-el-Kader parut d’abord assez embarrassé. Les musulmans, qui ne se déplacent guère que pour commercer, chercher du travail ou visiter la Mecque, ont peine à se rendre compte de l’ardeur aventureuse et de l’esprit de recherches des Européens. Ne comprenant pas tout ce que peut faire entreprendre l’amour réel de la science, dès qu’ils ne peuvent expliquer nos excursions par un des motifs exprimés plus haut, et qui sont les seuls qu’ils admettent, ils ne manquent pas de supposer qu’on voyage dans un but politique, et dans ce cas ils deviennent fort défians. L’émir, quoique supérieur à ses compatriotes en beaucoup de points, n’est cependant pas exempt de tous leurs préjugés : il en donna une preuve en cette circonstance : « Que vas-tu chercher dans le Kobla ? me dit-il. Il n’y a rien à voir de ce côté ; c’est un pays où on trouve beaucoup de pierres, peu d’arbres et des Kabaïles qui n’aiment pas les étrangers. » Il y