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comme le rusé contempteur des dieux[1], l’impie ravisseur du feu céleste[2], et, en même temps, comme l’instituteur du genre humain, le propagateur des arts et des secrets de l’Olympe. Une seconde tradition, moins ancienne, et qui n’a pour garans que des poètes et des mythologues plus récens et des monumens d’une date peu reculée[3], fait de Prométhée non-seulement le vulgarisateur des arts, mais le créateur des hommes, statues d’argile, d’abord muettes et insensibles, qu’il anima et illumina du feu du ciel. Hésiode et les tragiques ne disent rien de cette création. Même silence, non moins remarquable, dans Aristophane, qui lui aussi a mis Prométhée en scène. Dans la fameuse révolte des oiseaux contre les dieux, Aristophane n’a pas manqué de faire accourir le vieil ennemi de Jupiter. Mais, conformément au génie comique, l’échappé du Caucase n’est, dans la cité de Néphélococygie, qu’un cabaleur craintif, une sorte de Thersite olympien. Aristophane n’oublie pas de rappeler burlesquement le grand bienfait de Prométhée, le don du feu : « C’est à toi, lui dit un mauvais plaisant, que nous devons de faire des grillades[4]. » : Mais de la création des hommes, mythe qui cependant prêtait on ne peut plus à la parodie, pas un mot.

Au reste, c’est une chose digne de remarque que la pauvreté des traditions helléniques sur un sujet aussi important que la création du genre humain.

Suivant Hésiode, avant toutes choses fut le Chaos, ensuite la Terre aux larges flancs, puis l’Amour, le plus beau des immortels. Or, le Chaos fut le père de l’Érèbe et de la Nuit. La Nuit, jointe amoureusement avec l’Érèbe, produisit l’Éther et le Jour. La Terre enfanta le Ciel couronné d’étoiles, son égal en grandeur, afin qu’il la couvrît tout entière. De l’union de la Terre et du Ciel naquirent l’Océan aux profonds abîmes, et enfin, Japet, Rhée, Saturne et les autres titans[5]

Des cosmogonies, un peu différentes quant à l’ordre des êtres, mais semblables en ce qu’elles font toutes également sortir le monde de l’amour et du mélange des élémens, se lisent dans les poèmes qui

  1. Hesiod., Theogon., v. 535, seqq.
  2. id., Op., v. 48, seqq.
  3. Voy. le sarcophage du musée Pio-Clémentin, le bas-relief de la villa Pinciana, celui de la ville d’Arles, une lampe et une urne du Capitole, plusieurs pierres gravées, un médaillon d’Antonin-le-Pieux, une peinture antique de la bibliothèque du Vatican.
  4. Aristoph., Av., v. 1545.
  5. Hesiod., Theogon., v. 110, seqq.